Interview#1
Les Rencontres Économiques d’Aix-en Provence, place forte du débat économique et social en Europe
Consacrée à l’espoir, l’édition 2023 des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence a connu un franc succès. Retour sur cette grand-messe de la vie économique européenne avec Jean-Hervé Lorenzi, fondateur du Cercle des économistes et président de l’association pour les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence.
Quelle est la genèse des Rencontres Économiques ?
L’histoire des Rencontres Économiques est intimement liée à celle du Cercle des économistes. Au début des années 90, une politique économique dite du franc fort est mise en œuvre. Pour nous, il était fondamental qu’un véritable débat ait lieu sur cette question stratégique. Nous avons alors donné naissance au Cercle des économistes pour pallier le manque d’échanges sur le sujet. Notre leitmotiv ? Faire la promotion d’un débat économique accessible au plus grand nombre.
Aux côtés d’Olivier Pastré, économiste, nous avons fondé en 2001 les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence. Celles-ci s’inscrivent pleinement dans la philosophie du Cercle des économistes, avec une ambition forte qui nous a animé dès le départ : devenir un évènement emblématique du débat économique en France, puis au niveau européen. Implantées à Aix-en-Provence, les Rencontres Économiques entretiennent un lien privilégié avec la région Sud qui, d’ailleurs, nous a toujours apporté son précieux concours.
Pourquoi le choix de l’espoir comme thématique de cette édition 2023 ?
Depuis quelques années, nous assistons à une succession de crises. Notre modèle économique et social est ainsi régulièrement mis à l’épreuve, nos certitudes souvent ébranlées. Ce contexte ne manque pas de susciter l’inquiétude et d’attiser les tensions au sein de notre société. Toutefois, nous devons bien nous garder de verser dans le pessimisme car, malgré tout, il y a de bonnes raisons d’espérer. Prenons l’exemple de la crise sanitaire. L’irruption de la covid, évènement imprévisible par excellence, a déstabilisé le monde entier. Pour autant, nous sommes parvenus à surmonter cette phase difficile en nous appuyant sur la recherche scientifique. Qui aurait pu imaginer que nous serions capables de concevoir en quelques mois des vaccins capables d’endiguer une telle pandémie ? Nous avons su faire face, révélant notre aptitude à surmonter les difficultés. Nous avons également tiré profit de cette épreuve pour repenser notre rapport au monde et réfléchir à la place centrale du lien social dans nos existences. L’espoir doit aussi irriguer d’autres sujets majeurs comme la question climatique, la place des nouvelles technologies dans notre société, ou encore la situation géopolitique.
Cette année vous avez publié un Manifeste pour un pacte social renouvelé. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Nous sommes partis du constat suivant : quel que soit le sujet, les débats se tendent de plus en plus. Seulement, il est plus que jamais nécessaire de faire front uni face aux enjeux majeurs de notre époque, à commencer par le défi climatique. Nous avons souhaité, de façon concrète, apporter notre pierre à l’édifice de l’apaisement du débat public.
Dans cette perspective, nous avons rédigé et publié un manifeste reposant sur cinq engagements structurants qui concernent des sujets cruciaux pour notre société : l’éducation, la formation, le travail, la citoyenneté, ou encore l’action publique. Plus précisément, le manifeste propose la réintégration dans les 5 ans à venir des 1,5 millions de jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation. Il recommande l’insertion dans chaque contrat de travail d’une clause qui prévoit l’obligation d’un parcours de formation permettant aux salariés les moins qualifiés de bénéficier d’évolutions de carrières. Il se montre également favorable à l’augmentation du taux d’emploi des seniors de 10 % d’ici 10 ans ainsi qu’au fait d’avancer d’un an l’âge moyen de l’entrée des jeunes sur le marché du travail.
Le manifeste appelle aussi de ses vœux l’instauration d’un engagement citoyen obligatoire de 3 mois minimum pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans.
Enfin, il préconise une transformation de l’action publique au moyen de la responsabilisation de l’ensemble de ses protagonistes.
Chaque citoyen peut être acteur de la concrétisation de nos engagements. En effet, tout un chacun a la possibilité de signer ce Manifeste, de le défendre, de le porter.
"Nous avons souhaité, de façon concrète, apporter notre pierre à l’édifice de l’apaisement du débat public."
Soucieux de donner la parole aux nouvelles générations, vous avez mis en place le projet Jeunesse (s). En quoi consiste-t-il ?
Parce que le dialogue intergénérationnel est une priorité, nous avons décidé de donner la parole aux jeunes. Il nous apparait très clairement que si nous ne sommes pas à l’écoute des préoccupations de la jeunesse, nous ne saurons pas relever les défis de notre temps.
Les échanges particulièrement riches auxquels ont participé 35 000 jeunes durant deux mois, ont abouti à l’élaboration de 4 propositions concrètes concernant la citoyenneté, l’environnement, la formation, ou encore la question de la santé et du bien-être. Quelques-uns de ces jeunes, âgés de 18 à 30 ans, ont eu l’occasion de présenter ces propositions lors d’une session spéciale en présence de personnalités du monde économique et politique.
Quel bilan tirez-vous de cette édition 2023 ?
Nous en dressons un bilan très positif. Avec pas moins de 7 000 participants et 380 intervenants d’excellence (dirigeants de premier plan, membres de cabinets de conseil, élus locaux, députés, chefs de gouvernement et ministres français et étrangers, économistes, etc.) les Rencontres ont démontré une fois de plus qu’elles constituaient une place forte du débat économique et social en Europe.
Nous espérons de tout cœur que les décideurs et nos concitoyens vont à présent s’emparer de notre manifeste pour en faire le levier d’actions concrètes. Nous en sommes convaincus : les transformations dont nous avons besoin ne pourront intervenir sans une implication forte de la société civile.
Interview#2
Aix-en-Provence, une dynamique sans cesse renouvelée
Ancienne sénatrice, Vice-présidente du Conseil régional, Sophie Joissains est depuis 2021 maire d’Aix-en-Provence. Une ville à forte population étudiante, à la fois attentive aux transformations de la société et attachée à l’animation culturelle. Rencontre avec une élue attachée à son territoire qui évoque pour À priori(s) l’attractivité internationale d’un territoire porté par le monde des idées et la culture.
Nous échangeons pendant les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, forum de réflexion reconnu dans toute l’Europe, quelle est l’histoire qui lie la ville à cet évènement ?
Les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence sont devenues un évènement majeur en Europe tant sur le plan économique que sur le plan social et sociétal. Elles représentent un temps d’échange entre des écosystèmes et des générations qui n’ont pas l’habitude de communiquer ensemble. C’est un moment de convivialité et de partage qui résonne avec l’image de la ville.
Aujourd’hui, les Rencontres Économiques prennent une ampleur nouvelle car il y a une forte demande de compréhension de la complexité du monde. Au fond, elles révèlent le besoin que nous avons de connecter l’ensemble des forces vives du pays pour avancer. Le thème de cette année, « Recréer l’espoir » s’inscrit ainsi dans cette perspective car nous projetons beaucoup d’espoir sur certains sujets comme l’école, l’écologie ou encore l’économie.
Le lien est aussi très fort entre les Rencontres économiques et le Festival international d’art lyrique. Comment expliquez-vous la relation entre le monde économique et culturel ?
La dimension culturelle ne doit jamais être laissée de côté. La culture accompagne les mutations de notre société car elle incarne à la fois un imaginaire commun et un mode d’échange.
À Aix-en-Provence, la culture est un outil d’échange et de rassemblement que nous apprécions beaucoup. Nous en avons fait une marque de fabrique avec le principe de « l’excellence en partage ». Cette initiative se décline sous la forme d’évènements gratuits. Le Festival d’art lyrique d’Aix en Provence, par exemple, propose depuis 2011 un concert populaire et festif gratuit qui se nomme Parade(s) et qui se déroule depuis maintenant cinq saisons sur le cours Mirabeau. Nombre de ces évènements se déroulent dans des quartiers prioritaires ou dans le centre-ville afin d’encourager la mixité sociale.
Quelles sont les autres actions que la ville développe en lien avec la jeunesse et la culture ?
L’attractivité de la ville doit beaucoup à sa forte population étudiante qui porte un nouveau regard sur la société de demain. La ville forme environ 48 000 étudiants par an et je pense que tous en repartent avec un souvenir ému et enthousiaste. Les étudiants ont beaucoup à nous apporter à la fois en termes de réflexion, d’élan, d’ambiance mais aussi en tant qu’aixois d’adoption lorsqu’ils y résident après leurs études. Concernant le sujet de la résidence, il est vrai que l’attractivité d’Aix-en-Provence se répercute sur le coût du logement et peut freiner certains. Nous essayons toutefois de construire avec maîtrise des habitations afin de favoriser l’installation des jeunes ménages.
Que peut-on souhaiter à la ville d’Aix-en-Provence pour ces prochaines années ?
Je souhaite tout d’abord que la ville maintienne son équilibre actuel et qu’elle demeure ainsi profondément vivante avec la programmation d’évènements tout au long de l’année. Il faut qu’Aix-en-Provence conserve sa population jeune et active et en évitant toute gentrification. Avec ses racines universitaires, et son rayonnement culturel, la ville d’Aix-en-Provence jouit d’une forte attractivité sur tous ces plans. Chérissons tout cela !
Interview#3
L’opéra éclaire nos sociétés contemporaines au Festival d’Aix-en-Provence
Le grand rendez-vous d’art lyrique, qui fête ses 75 ans cette année, se singularise par son lien particulier avec son territoire, et l’envie de sensibiliser et d’amener le public, et notamment les plus jeunes, vers de nouvelles formes de création. Échanges avec François Vienne, directeur général adjoint du Festival d’Aix-en-Provence depuis plus de 13 ans.
Quelle est l’histoire du festival, son ambition première et son évolution ?
Trois termes définissent vraiment le festival : la création, qui est au cœur du projet, les jeunes artistes, avec la création de l’Académie en 1998 et la dimension internationale acquise dès sa création. Ainsi au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1948, s’est joué un opéra avec le chef autrichien Hans Rosbaud, symbole affiché de « dialogue interculturel ».
Quelle est la singularité du festival par rapport à ses concurrents internationaux ?
Au-delà des trois critères cités précédemment, il faut prendre conscience du fait que le Festival est une véritable maison d’opéra avec un processus de création de 5, 6 ou 7 productions dont les Premières se concentrent sur le début du Festival. Nous suivons donc en parallèle 5, 6 ou 7 processus de création, qu’il s’agisse d’un opéra commandé par le Festival ou d’une nouvelle production d’une œuvre déjà au répertoire. Il est essentiel de montrer que l’opéra est un art vivant, qui se renouvelle en présentant des œuvres nouvelles ou un nouveau regard sur une œuvre.
Quel est le modèle économique du festival, a-t-il des particularités ?
La principale caractéristique de notre modèle économique est le taux relativement faible de subvention, autour de 33%. Cela impose de réaliser tous les ans un montant très important de recettes propres, grâce aux coproductions, à la billetterie et au mécénat. Malgré cette contrainte forte, nous avons réussi à augmenter de 30% le budget du Festival pendant le premier mandat de Pierre Audi (2019/2023). Cette augmentation de budget a été financée pour 11% par les subventions, pour 7% par les recettes provenant du casino et pour 82% par les recettes propres, essentiellement le mécénat.
Ce modèle économique est vertueux, notamment grâce à l’effet de levier que les subventions ont sur les recettes propres. En 2014, nous avons réalisé une étude d’impact qui a montré qu’un euro de subvention générait 12 euros de retombées économiques dans le territoire d’Aix-en-Provence.
Justement, quel est le lien avec la ville d’Aix-en-Provence, quel rôle joue la ville pour le festival, et réciproquement ?
Le Festival est un moment important pour Aix-en-Provence et il apporte une contribution significative à son rayonnement international. Chaque année, nous essayons de rentre plus visible la présence du festival dans l’espace public, et notamment dans le cadre du festival Aix en juin qui précède le festival de juillet. Il est important que le festival soit visible et qu’il soit accessible aux Aixois, afin qu’il puisse se l’approprier comme « leur » festival. C’est pourquoi l’accès aux manifestations artistiques d’Aix en juin est gratuite. Le grand concert Parades qui réunit fin juin des milliers de spectateurs sur le Cours Mirabeau est un moment de fête et de convivialité qui clôture Aix en juin et annonce l’ouverture du Festival.
Enfin, 45% de notre public vient de la Région et notre Services Passerelles mène tout au long de l’année un travail de médiation de très grande qualité dans les écoles, les collèges, les lycées et l’université et avec une centaine d’associations qui interviennent dans le champ social ou médical.
Quelles sont les initiatives mises en place. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
En 2007, nous avons imaginé le projet Passerelles avec la conviction que les productions d’opéra viennent interroger notre époque et nos sociétés contemporaines et que chacun peut trouver sa place dans ces histoires. Passerelles rassemble les actions de médiation, de sensibilisation et de pratique artistique amateure portées par le service éducatif et socio-artistique du Festival d’Aix-en-Provence. A partir de l’offre artistique de chaque édition du festival, on élabore un programme sur-mesure de sensibilisation des publics ou de pratique artistique.
Les parcours de sensibilisation comprennent des ateliers de pratique artistique et créative (chant choral, écriture, arts plastiques et visuels, théâtre, danse, etc.) mais aussi des rencontres avec les équipes techniques, des événements musicaux ainsi que des rencontres avec des artistes du Festival. À l’issue de ces parcours, les participants peuvent assister à la répétition générale d’une production du Festival. Chacun accède ainsi à une expérience essentielle, et peut vivre cette émotion singulière que procure l’art lyrique.
Pour la pratique artistique, nous partons de l’histoire de chaque participant pour esquisser un geste artistique dont chacun sera l’auteur. Cette mise en situation crée une connivence avec le monde artistique.
L’opéra est un art total qui mêle la musique, le livret, la mise en scène, les décors, les costumes, la technique … Nous avons donc de multiples portes d’entrée permettant à chacun de faire un parcours de découverte qui lui soit propre.
Participer à une représentation avec d’autres spectateurs, c’est s’intégrer dans la société. C’est donc un élément qui construit la citoyenneté. Renforcer l’éducation artistique et culturelle sur un territoire est donc un enjeu majeur pour combattre la violence et la désagrégation de la société.