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04.04.23

Caen : métropole dynamique et attractive

       Chef-lieu du département du Calvados, capitale politique et culturelle de Normandie, cité portuaire : la ville de Caen a 1001 visages. Fondée au XIe siècle par Guillaume-le-Conquérant, ce territoire n’a rien perdu de son dynamisme au fil des siècles - et ce malgré les ravages, entre autres, de la Seconde Guerre Mondiale. Avec plus de 107 000 habitants, la métropole combine son statut de ville à taille humaine à une grande vitalité. Découverte de cette métropole animée… et conquérante.

Joël Bruneau

Maire de Caen
« Il y a un charme particulier à vivre à Caen. »

Nicolas Geray

Cofondateur du MoHo
« Caen est une ville incroyable. Je ne suis pas né ici et, pourtant, j’ai choisi d’y vivre. »

Pascal Buléon

Directeur de la MRSH de Caen
« La ville de Caen bénéficie d’une réelle dynamique entre culture, économie et environnement. »

Interview#1

Caen, la dynamique normande

Berrichon d’origine, Joël Bruneau a posé ses valises à Caen en 1989 par le biais du sport, qu’il a longtemps pratiqué à haut niveau. Il tombe amoureux du chef-lieu du Calvados et, fort de ses études en sciences politiques et de ses connaissances à la fois du secteur privé et des collectivités, il est élu maire LR de Caen en mars 2014 et reconduit en 2020. Rencontre. 

Selon vous, quels sont les atouts principaux de la ville de Caen ?

La principale richesse de ce lieu, à mon sens, c’est cette alchimie un peu particulière entre une ville à taille humaine et des infrastructures ou services qui sont l’apanage des métropoles – notamment le pôle d’enseignement supérieur et de recherche, conséquent pour une ville de la taille de Caen. Ce rayonnement de la recherche s’explique historiquement, notamment du fait de l’implantation du laboratoire de physique nucléaire, le Ganil, en 1973. On peut également mentionner l’offre culturelle qui, là encore, est plutôt de l’ordre de ce que l’on retrouve dans une agglomération de 500 000 habitants. S’ajoute à cela une vitalité sportive, mais pas seulement ! Les habitants ne perçoivent pas forcément au quotidien la richesse de notre ville : par exemple, une grande diversité de propositions en termes de paysages dans un rayon restreint. Entre le bord de mer, la Suisse normande, le pays d’Auge, la proximité de la Manche ou de l’Orne… Nous avons une région dont la diversité de paysages est assez peu commune et Caen en est au cœur. Il est d’ailleurs fréquent que des gens viennent y habiter sans idée préconçue et aient beaucoup de mal à repartir ! Il y a un charme particulier à vivre ici.

« Caen, c'est cette alchimie un peu particulière entre une ville à taille humaine et des infrastructures ou services qui sont l’apanage des métropoles. »

Vous venez de citer la vitalité sportive de Caen et parlez souvent de cette ville comme “terre de sport” : pourquoi ?

C’est un peu historique. Il y a toujours eu à Caen une diversité d’offres portées par des clubs dans toutes sortes de disciplines sportives. À une époque, nous avions autant d’équipements sportifs à Caen qu’à Lyon – et pourtant, ce ne sont pas des villes de la même taille ! On dispose d’une grande richesse d’équipements, ce qui représente à la fois un atout, mais aussi – objectivement – une charge : nous y consacrons un budget relativement important. Caen va par ailleurs bientôt avoir un nouveau Palais des sports, porté par la communauté urbaine (Caen la Mer) et soutenu par le Département et la Région. Ce qui est très symptomatique à Caen, c’est qu’il y a beaucoup d’équipements de proximité qui permettent de pratiquer toutes sortes de sports au quotidien – que cela soit en compétition ou, comme pour l’immense majorité des gens, du sport santé, loisirs ou éducatif.
Beaucoup de villes ont un sport phare. Nous, nous avons le foot et le hand en deuxième division, ainsi que le basket en troisième division. Caen présente donc une diversité d’offres assez remarquable pour les sports collectifs – sans parler des sports individuels. Au début des années 90, Caen avait même été nommée “ville la plus sportive de France” dans un classement réalisé par L’Équipe !

Vous avez été élu Maire de Caen une première fois en 2014 et reconduit en 2020. Pouvez-vous nous parler de votre programme politique actuel ?

Ce programme s’intitule “Une ville ambitieuse pour tous, attentive à chacun”. Il s’articule autour de tout ce qui permet à la ville de conserver sa dynamique intrinsèque, donc tous les leviers de développement économiques et humains. En bref, tout ce qui va participer à rendre Caen la plus attractive possible. Nous souhaitons qu’elle continue à être ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire l’agglomération de Normandie qui crée le plus d’emplois – entre autres. Et en même temps, nous voulons qu’elle soit une ville attentive à chacun, c’est-à-dire qui garantit à chacun un haut niveau de qualité de vie. Petite précision : j’intègre au premier volet mentionné tous les grands éléments de transition écologique, à savoir des investissements puissants pour passer ce cap, mais aussi tout ce qui concerne la qualité de vie au quotidien : la propreté, la sécurité publique, toutes les animations autour du sport, de la culture… Tout ce qui fait que l’on a un plaisir particulier à vivre à Caen plutôt qu’ailleurs.

Parallèlement à votre statut de Maire, vous êtes aussi Président de Caen la Mer. Pouvez-vous nous parler des projets de la communauté urbaine ?

Je voudrais d’abord souligner l’importance d’avoir une parfaite imbrication entre la stratégie suivie par la ville-centre, qui représente chez nous 107 000 habitants sur 270 000, et la politique menée par la communauté urbaine. C’est indispensable pour que le territoire dans son ensemble puisse se développer et cela passe par la capacité de tous les acteurs à travailler dans une parfaite cohérence.
Parmi les grands projets, nous travaillons actuellement sur une extension de notre tramway sur l’axe Est-Ouest. C’est le sujet du moment : nous en avons récemment dévoilé le tracé privilégié, qui sera soumis à enquête publique en 2024.
Nous réalisons également tout un travail autour des infrastructures en matière de réseau, notamment les réseaux d’assainissement. Nous investissons pour leur modernisation, avec une nouvelle unité de méthanisation sur notre station d’épuration – qui va d’ailleurs produire du biogaz voué à être utilisé par la société d’exploitation chargée de de nos transports en commun.
Autre projet fondamental en matière de transition écologique : l’extension considérable de notre réseau de chaleur. Nous avons déjà un réseau de chaleur qui dessert aujourd’hui une partie de notre territoire, mais nous travaillons sur un bouclage total : cela représente 200 millions d’euros d’investissements.

Quels secteurs créent de l’emploi dans la ville de Caen ?

Nos créations d’emplois s’appuient sur des grands leaders présents à Caen : Renault Trucks, Stellantis… De son côté, Caen la Mer représente à peu près 110 000 emplois salariés privés. C’est assez remarquable : entre 2015 et 2022, la communauté urbaine, qui compte 8 % de la population normande, aura créé 30 % des emplois.
Ces emplois sont créés dans des secteurs très diversifiés et ce qui sous-tend cette dynamique globale, c’est le très fort pôle d’enseignement supérieur et de recherche que nous avons évoqué et qui a permis l’essaimage d’un certain nombre de grandes entreprises dans le paysage caennais. J’en citerai deux : le laboratoire de recherche d’Orange, Orange Labs, dont une bonne partie de notre French Tech locale sort indirectement, et l’entreprise NXP, héritier de Philips. De ces deux structures sont nées beaucoup d’entreprises innovantes. Je pourrais vous citer des sociétés comme Eldim, qui a mis au point un système de reconnaissance faciale (notamment utilisé par Apple) ou Yousign, qui a énormément profité du Covid et a recruté 100 personnes l’année dernière.
Nos grosses entreprises privées sont souvent des entreprises familiales qui ne font pas beaucoup de bruit : par exemple, les laboratoires Gilbert, l’entreprise Hamelin (papeterie des cahiers Oxford) et la société de distribution de quincaillerie professionnelle Legallais. C’est cela, la dynamique locale : des secteurs extrêmement diversifiés comme la papeterie, la quincaillerie, le numérique, le bâtiment, l’ingénierie et bien sûr le tourisme. Le seul point noir, si je puis dire, malgré le rattrapage opéré depuis trois ou quatre ans, c’est peut-être l’industrie.

Et concernant le tourisme caennais ? Se limite-t-il au tourisme mémoriel ?

Nous avons effectivement ce point fort qu’est le tourisme mémoriel. Le Mémorial pour la Paix, c’est tout de même 400 000 visiteurs par an, venant de beaucoup de pays différents. Notre ville est souvent – parfois à tort – vécue d’abord comme une ville ayant été détruite, alors qu’il nous reste encore un patrimoine très conséquent. Un seul quartier a été entièrement rasé : c’est loin d’être 80 % de la ville comme on l’entend parfois !
La ville de Caen dispose de vrais atouts pour être une ville de destination touristique, ce qu’elle est réellement en train de devenir : il y a une vraie dynamique sur ce plan. C’est sans doute lié à une reprise très forte post-Covid, mais c’était déjà le cas dès 2019. Nous essayons de développer d’autres formes de tourisme, en particulier à l’échelle de la communauté urbaine, avec une politique forte en matière de promotion touristique basée non seulement sur le patrimoine caennais, mais aussi la proximité de la mer – qui est un atout indéniable !
Outre les Français, les premières nationalités qui fréquentent la ville viennent du Benelux (Belges, Hollandais, etc). Nous observons également une forte montée des pays du Sud : Espagnols, Italiens. Et puis bien sûr, les Anglais qui sont de retour ! Grâce au tourisme mémoriel, nous accueillons aussi beaucoup d’Américains et de Canadiens.

Interview#2

Recréer des collectifs avec le MoHo pour relever les défis de notre siècle

Normand par sa mère, Nicolas Geray a eu mille vies avant de s’installer à Caen : féru de voyages et de culture, il travaille d’abord en Angleterre et aux Etats-Unis avant de revenir en métropole, où il crée sa première entreprise en 2006. En 2010, il prend la direction des pépinières d’entreprises de Caen, mettant ainsi à profit sa propre expérience pour accompagner les entrepreneurs locaux. Six ans plus tard, sa passion le rattrape. Il co-crée le projet fou du MoHo (abréviation de “Mosaïc House »), avec l’ambition d’imaginer le 1er “collider” européen dédié à un D-Day de l’impact social et environnemental. Zoom sur ce projet caennais et atypique.

Qu’est-ce que le MoHo ? En quoi cette structure caennaise se différencie-t-elle de la Station F parisienne ?

La grande différence, c’est que nous ne sommes pas un accélérateur de start-ups. Le MoHo n’est ni un accélérateur de startups, ni un incubateur, ni une pépinière d’entreprises. Nous nous définissons comme un collider : en physique, cela désigne un collisionneur de particules. Le principe du MoHo, c’est de mélanger différentes populations en résidence. On crée un mélange atypique, inédit : ont rejoint le MoHo à la fois des grandes entreprises, des start-ups, des scientifiques, des étudiants (nous avons plusieurs écoles en résidence et 200 étudiants sur le lieu tous les jours) ainsi que des associations. Nous essayons sans cesse de casser l’entre-soi. L’idée est de créer une certaine effervescence perpétuelle en faisant se rencontrer des gens qui n’ont pas vocation à se croiser en temps normal. Notre ambition est de briser les silos dans lesquels on se trouve tous assez naturellement dans nos métiers : parce que la richesse, quand on porte des projets, qu’on innove ou qu’on imagine des solutions de transition, c’est de se mélanger. C’est de confronter son point de vue avec quelqu’un qui vient d’un autre univers. Quand on permet à des gens du secteur de l’agriculture d’échanger avec des financiers, des acteurs de la santé, des étudiants encore en pleine construction ou des associations de quartier, c’est riche. Pourquoi ? Parce que ces personnes-là n’ont pas l’œil déjà aiguisé ou le point de vue d’un collègue de travail qui pense déjà à certains freins avant qu’on ait fini la phrase.

«  Nous avions une conviction forte, celle de la nécessité de (re)créer des collectifs. Il nous fallait un lieu, un vaisseau amiral. Et quoi de plus symbolique que de le créer à Caen, dans cette région emblématique du monde que chacun connaît pour l’événement majeur qu'a été le Débarquement. »

Sur quelles valeurs le projet du MoHo repose-t-il ?

En 2014, mon associé Olivier Cotinat et moi-même avions déjà la certitude que nous allions devoir faire face à d’énormes enjeux au niveau mondial : le défi climatique, la crise migratoire, les crises démocratiques… À l’époque, tous ces sujets n’étaient pas aussi prégnants qu’aujourd’hui. Mais pour la première fois, nous nous disions que nous n’allions pas livrer un monde meilleur à nos enfants. Aujourd’hui, on leur promet une crise climatique qui semble insoluble si on n’agit pas, ainsi que des conditions de démocratie un peu aléatoires. La liberté n’est jamais gagnée à vie et, à Caen, nous sommes bien placés pour le savoir. C’est d’ailleurs un des slogans de la ville : “la liberté s’est gagnée ici”, en Normandie, sur ces plages.
Nous avions une conviction forte, celle de la nécessité de (re)créer des collectifs. Il nous fallait un lieu, un vaisseau amiral. Et quoi de plus symbolique que de le créer à Caen, dans cette région emblématique du monde que chacun connaît pour l’événement majeur qu’a été le Débarquement. Le D-Day, c’était 156 000 jeunes, 12 pays, des hommes, des femmes, des compétences différentes. C’était aussi des volontaires, des gens qui n’ont pas accepté le sens que prenait l’histoire et qui se sont à un moment mobilisés, préparés et rassemblés. C’est un collectif qui s’est réuni et qui a changé le cours de l’histoire. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, lors du débarquement, la moyenne d’âge des jeunes ayant investi les plages normandes le 6 juin 1944 était de 23 ans. Petite anecdote : le dernier Français qui a débarqué est encore en vie. Il s’appelle Léon Gautier, il a 100 ans et vit actuellement à Ouistreham, à côté de Caen. Il a pris la décision de s’engager à 16 ans. Quand on y pense, prendre ce genre de décisions à 16 ans est assez incroyable. Cela remet en perspective les choix que l’on peut faire aujourd’hui. Cela nous apprend aussi que ce sont souvent les jeunes qui sont les porteurs de grands changements. Quand on regarde l’histoire de l’humanité, ce sont très souvent eux qui sont déclencheurs d’évolutions et de révolutions pour le monde. Au MoHo, cette idée nous est très chère. Et nous nous disons que si un tel collectif a pu exister par le passé pour transformer le monde, il est possible de le refaire et d’œuvrer ensemble pour le plus grand que soi et pour l’intérêt général.
Nous l’avons d’ailleurs incarné en créant dès le démarrage de ce projet, un collectif qui nous a beaucoup soutenu. La force de cette démarche est d’avoir rassembler des acteurs publics, comme les collectivités de Caen la mer, de la Région Normandie qui ont porté l’investissement immobilier, mais également plus de 40 entreprises locales comme Hamelin, les Laboratoires Gilbert, le Crédit Agricole Normandie, Agrial, Legallais ou encore le Groupe Lemoine qui se sont investis à travers un fonds de dotation créé pour soutenir toute la dynamique d’intérêt général que nous portons à travers ce projet. Cela nous a permis d’élaborer un modèle unique, à la fois autosuffisant et philanthropique dont nous sommes très fiers.

Quels programmes le MoHo porte-t-il ?

Au sein du MoHo, nous parlons non pas de programmes mais de “coalitions”. Nous en avons quatre aujourd’hui. Elles sont hybrides, parfois internationales et ont pour ambition de résoudre les défis environnementaux et sociétaux de notre siècle pour et avec les jeunes.
La première coalition porte sur la thématique “villes et vivant”. Sur ce volet, nous travaillons avec deux acteurs nationaux : Makesense et Ceebios (un laboratoire de recherche sur le biomimétisme, ou comment s’inspirer de la nature pour développer des méthodologies d’action dans nos manières de travailler). Cette coalition prend la forme d’un creathon (une sorte de hackathon réunissant étudiants, start-ups et chercheurs d’emploi en équipes) dont l’objectif est de penser des villes durables avec le vivant sur la base de cas concrets proposés par des collectivités et par des entreprises.
La deuxième coalition concerne la mobilité durable. Pour celle-ci, nous avons regroupé un certain nombre d’acteurs de la mobilité, ainsi que des entreprises locales ou nationales qui portent également ce sujet. Nous avons ainsi travaillé avec huit entreprises pendant six mois sur un sujet commun : le déplacement domicile-travail pour les salariés. À l’heure actuelle, nous entrons dans une deuxième phase de travail pour expertiser un certain nombre de nouvelles solutions afin d’engager et d’accompagner le changement petit à petit. À ce sujet, nous venons de signer un partenariat avec The Shift Project, ce dont nous sommes ravis.
La troisième coalition porte sur le plastique. Nous travaillons main dans la main avec le BCG et l’Université de Berkeley pour essayer de relever les défis liés au plastique, qui sont nombreux – et surtout très systémiques et planétaires. Changer les choses à l’échelle locale de Caen ne suffit pas. Par ailleurs, le principe n’est pas le “zéro plastique” mais le “moins de plastique”. On ne peut pas changer des modèles économiques planétaires en claquant des doigts, cela prend du temps.
Enfin, la quatrième coalition porte sur la jeunesse. “MoHo 4 Young” est né d’un constat : avec mon équipe, nous avons tous été témoins d’un fort décrochage scolaire suite au Covid et à l’isolement de chacun à la maison. De manière générale, lorsqu’on se sent bloqué dans sa vie, pour se remettre dans une dynamique positive, il est important d’avoir des projets. Peu importe que ceux-ci soient menés à bien : ce qui compte, c’est le chemin parcouru, parce que l’on rencontre du monde et que cela crée des opportunités. C’est dans cet esprit que nous avons créé MoHo 4 Young : nous avons commencé par lancer une campagne de financement participatif sur Ulule et nous avons levé 100 000 € (à notre grande surprise !). Nous avons directement fléché cet argent vers notre fonds de dotation D-Day Overlord Foundation pour qu’il serve à financer des projets associatifs portés par des jeunes de 8 à 27 ans. Lors du dernier appel à projets qui vient de se clôturer en mars 2023, nous avons reçu plus de 60 candidatures de jeunes de toutes la France et même de quelques villes à l’étranger.

À court terme, quelles sont les perspectives et projets futurs du MoHo ?

Nous avons fait le choix de grandir dans une croissance modérée. Le premier enjeu pour nous était de bien “stabiliser” notre lieu, qui a été ouvert il n’y a qu’un an et demi – ne l’oublions pas ! Nous sommes aujourd’hui 25 collaborateurs et notre chiffre d’affaires est très satisfaisant. Nous sommes passés par une succession de crises compliquées, entre le Covid et l’inflation énergétique, donc nous sommes heureux de nous en sortir convenablement.
Il faut à présent entretenir cet équilibre, déployer nos coalitions et étendre notre impact d’intérêt général. Nous les avons fortifiées et nous devons continuer à le faire, car même si ces sujets sont nés en Normandie, ils la dépassent largement – que cela soit “villes et vivant”, “mobilité” ou “MoHo 4 Young”. Pour « villes et vivant », par exemple, nous travaillons au développement d’un tour de France sur plusieurs villes avec nos partenaires pour maximiser l’impact et les tests de ces nouvelles solutions.
Malgré tout cela, je communique déjà beaucoup à notre équipe sur le concept “d’entreprises à taille optimale”. A un moment, il est nécessaire d’arrêter notre croissance et de se dire “à quelle taille est-on heureux et respecte-t-on les limites planétaires ?”. Pour l’instant, nous sommes dans une phase d’amorçage, nous devons continuer à grandir. Mais cette croissance aura ses limites et nous avons un devoir d’exemplarité pour être une entreprise responsable et contributive.
Autre perspective : en 2024 aura lieu le 80ᵉ anniversaire du Débarquement, ainsi que les JO à Paris. Ce sont deux très gros événements mondiaux qui seront proches de nous et sur lesquels nous souhaitons exister. C’est une coalition un peu informelle, mais il y a tout de même un sujet que le MoHo adresse très sérieusement : l’inclusion par le sport. Nous avons un terrain de sport au sein-même de notre lieu et nous bénéficions également d’un très bon partenariat avec la Caisse d’épargne, qui se trouve être un sponsor de Paris 2024. L’inclusion des jeunes à travers le sport, c’est donc notre cinquième gros sujet !

Enfin… Selon vous, quels sont les atouts principaux de la ville de Caen ? Pourquoi avez-vous choisi d’y entreprendre ? 

Caen est une ville incroyable. Je ne suis pas né ici et pourtant j’ai choisi d’y vivre. Aujourd’hui, rares sont les villes se trouvant à moins de deux heures de Paris et où l’on peut se rendre et vivre à des tarifs abordables. De plus, Caen est à 15 kilomètres de la plage, avec un port dans la ville et des conditions de vie peu concurrençables… Si je prends l’exemple du MoHo, nous sommes situés à côté de la gare, en plein centre-ville. Mais pourtant, si vous marchez un kilomètre et demi, vous arrivez en pleine nature : des champs, des voies cyclables, des chevaux ! Et tout cela le long de l’Orne, c’est magnifique. Par ailleurs, Caen n’a pas été détruite autant que ce que l’on imagine lors de la Seconde Guerre mondiale. Il reste encore des quartiers anciens et de très belles places. C’est aussi une ville étudiante, avec plus de 30 000 étudiants et également le plus grand carnaval étudiant d’Europe ! C’est très dynamique… et même économiquement : la ville abrite des start-ups depuis longtemps. Cela s’explique historiquement, puisque Caen a accueilli très tôt beaucoup de microélectronique. C’est une ville qui a bien sûr vécu de gros chocs économiques, avec des fermetures d’entreprises aux conséquences malheureuses. Mais derrière ces disparitions, il y a aussi de jolies renaissances : des entrepreneurs, anciens cadres de ces structures, qui relancent des nouvelles dynamiques.
Enfin, je pense que la ville a connu un regain d’attractivité avec le Covid. Pour preuve : nous avons des Parisiens qui sont venus s’installer au MoHo, alors qu’ils n’ont aucune racine caennaise ! Le fait de pouvoir faire l’aller-retour Caen-Paris dans la journée est une force.

Interview#3

Quand la recherche caennaise rayonne

Pascal Buléon est chercheur et directeur de Recherche au CNRS, spécialité géographie politique et économique. Très impliqué dans le développement des réflexions pluridisciplinaires dans les sciences humaines et sociales (SHS) en France, il dirige actuellement la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen. Née en 1995, cette structure, soutenue par l’Université de Caen et le CNRS, travaille à soutenir et démultiplier les efforts des équipes de recherche SHS, à porter de nouveaux développements de recherche et à produire du pluridisciplinaire. Entretien.

Pouvez-vous nous parler de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen ? Quel est son rôle ?

Les Maisons des Sciences de l’Homme constituent une petite originalité française qui prend sa source dans les années 60 avec un historien du nom de Fernand Braudel. Il en existe 22 en France, c’est donc un vrai réseau national. J’ai à ma charge la Maison de la Recherche en Sciences Humaines (MRSH) de Caen et, par ailleurs, je suis à la coordination dudit réseau national.
L’idée initiale de ces Maisons est de pousser l’interdisciplinarité et de faire dialoguer les disciplines entre elles. Ces structures regroupent tout le secteur des sciences humaines et sociales. Le périmètre est très large : archéologie, économie mathématique, psychologie, histoire, géographie, étude linguistique, etc. La MRSH de Caen représente la moitié du potentiel de recherche de l’université de Caen : 500 enseignants chercheurs et ingénieurs, 22 équipes, 4 écoles doctorales (droit, économie, humanités et sciences sociales).
La MRSH sert donc, entre autres, à créer des pôles pluridisciplinaires (nous avons par exemple un pôle portant sur la question du document numérique). Les chercheurs viennent avec leurs objets, leurs questionnements et travaillent ensemble au travers d’un grand nombre de programmes. La MRSH est la source d’une forte activité académique : 200 petits séminaires ou colloques par an et 40 manifestations de taille nationale et internationale. Cette Maison constitue aussi un pont et un lien avec beaucoup d’acteurs du territoire – des acteurs culturels, en premier lieu : je pense notamment à l’IMEC (l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine), au Centre Culturel International de Cerisy ou au Mémorial.

La MRSH de Caen prône l’interdisciplinarité et la pluridisciplinarité. A-t-elle d’autres vocations ? 

En général, l’un des grands problèmes du milieu de la recherche est d’arriver à porter vers des cercles extérieurs – vers la société – ses recherches, ses résultats et ses façons de réfléchir. La pandémie de Covid-19 est un exemple fort à ce sujet : nous avons vu sur tous les plateaux TV bon nombre de gens qui parlaient avec autorité de sujets dont ils ne connaissaient parfois rien… Alors que, dans les communautés de recherche, des gens travaillaient et travaillent depuis longtemps sur lesdits sujets. Cela nous a d’ailleurs amené, au CNRS, à publier un ouvrage sur le capital de réflexion que les sciences humaines ont à disposition pour penser le télescopage de sociétés comme les nôtres face à une pandémie de ce genre.
Les MRSH travaillent donc beaucoup à créer des actions communes avec les différents acteurs du territoire et à diffuser au sein-même de ce territoire des résultats de recherches, des réflexions et des débats. A ce sujet, et pour exemple, nous avons monté il y a quelque temps une biennale en interdisciplinaire. La pandémie a stoppé ce projet, mais il était d’ampleur : il s’agissait d’une Semaine de la mémoire, destinée à convier sur un campus tout un large public, mais aussi à sortir des campus eux-mêmes (par exemple, à l’aide de partenariats avec des cinémas dans toute la région, avec la Cité de la mer ou encore avec le Mémorial). Cette Semaine de la mémoire a rassemblé 5 000 personnes sur 40 événements : petites et grandes conférences (500 personnes), projections de films avec débat, etc.
En ce sens, la MRSH a plusieurs vocations : c’est à la fois un lieu de réflexion fondamentale et un vecteur de diffusion de la connaissance. C’est pour cette raison que nous travaillons avec les collectivités, la Région, le Département, Caen ou encore des villes plus éloignées comme Cherbourg. La MRSH se lie aux territoires et emmène l’Université vers ces mêmes territoires.

De quel rayonnement la MRSH bénéficie-t-elle ?

La MRSH se projette beaucoup à l’international. Par exemple, nous avons lancé en 2019 une Chaire d’excellence pour la Paix confiée par la Région Normandie et la présidence du CNRS. Cette Chaire a décliné sur son terrain le thème du droit des générations futures. Il s’agit d’un très grand dispositif constitué des cinq ou six meilleurs collègues seniors mondiaux dans ce domaine. Plusieurs dizaines de personnes dans le monde sont investies dans cette Chaire, portée à Caen pour le compte du CNRS national et de la Région Normandie. Les travaux de recherche fondamentale nourrissent la société civile internationale, Ainsi l’Université de la Paix des Nations Unies, des missions de pays auprès de l’ONU, ou l’UICN (organisation de l’ONU pour la nature) ont travaillé avec la chaire, ont réutilisé ses travaux, en diverses circonstances. Ce mois-ci une manifestation est organisée en Asie par la partie Pacifique de la chaire. C’est l’un des exemples les plus spectaculaires de rayonnement international, De Caen, Normandie, France, jusqu »à l’ONU ou en Asie, il y en a d’autres dans des actions scientifiques plus classiques.

Vous parliez tout à l’heure du pôle “document numérique” de la MRSH. Qu’entendez-vous par “document numérique”, et qu’est-ce que le document numérique de demain ?

Un des points forts de la MRSH caennaise, ce sont effectivement les humanités numériques. Son pôle “document numérique” constitue le rassemblement pluridisciplinaire français le plus important : entre 80 et 100 équivalents temps plein – chercheurs et ingénieurs – y sont mobilisés et travaillent sur 60 projets.
Un document numérique est un ensemble composite intégrant texte, données et images. Ainsi, le pôle “document numérique” conçoit, développe et met en œuvre des outils numériques et des méthodes de travail pour les programmes de recherche en humanités et sciences humaines et sociales avec une approche centrée sur les données. C’est cette entité, notamment, qui travaille sur les bibliothèques virtuelles (on pense notamment à la bibliothèque du Mont-Saint-Michel). Nous portons d’ailleurs actuellement, avec la Région, le projet d’une Bibliothèque mondiale du cheval, qui lui aussi a des ramifications dans différents pays.
Le numérique tel que nous l’étudions ne va pas à l’encontre des livres. C’est tout l’inverse. Il s’agit d’un “numérique” qui permet de mettre quantité d’informations à la portée d’autres chercheurs dans le monde et/ou d’une population plus grand public. C’est une grande bibliothèque ouverte ! Le document numérique, si je prends la métaphore de l’habillement, c’est de la haute couture, du sur-mesure qui permet de rentrer dans des corpus de pensée et de les porter loin, de les mettre à disposition, de les partager avec diverses communautés… Et parfois même de les emmener dans des musées. En ce moment, nous travaillons par exemple sur la Tapisserie de Bayeux dans la perspective du nouveau musée, avec les équipes du Musée. Nous construisons des outils qui permettent aux restauratrices de travailler 4 à 5 fois plus vite et de constituer toute la documentation partagée et, en même temps, nous jetons les bases des outils numériques qui seront utilisés dans le futur musée et qui serviront au grand public.

Lorsque l’on se renseigne sur la MRSH de Caen, on tombe très rapidement sur ce que l’on appelle “le Plan de Rome”. Quel est cet objet et pourquoi est-il précieux pour la Maison de la recherche ?

Il s’agit d’une grande maquette en plâtre de près de 70 m² dont tout le monde s’accorde à dire qu’esthétiquement, elle est superbe. Un certain Paul Bigot, architecte normand, était stagiaire pensionnaire à l’École de Rome. Passionné d’archéologie, il décide pour « l’envoi » œuvre de fin de séjour de faire une maquette du cirque Maximus, puis se lance plus tard dans une maquette plus grande encore : celle de la Rome antique au temps de l’empereur Constantin (IVe s. apr. J.-C.) dont il reste les traces les plus monumentales. Il a offert cette maquette à Henry Bernard, architecte de la reconstruction de l’université, qui lui-même l’a léguée à l’université de Caen. Elle est exposée aujourd’hui au cœur de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines. Elle est classée à l’Inventaire des monuments historiques et, chaque année, des milliers de scolaires viennent la voir. Ce plan-relief sert de support à toute une activité de sensibilisation scolaire. Lorsque l’on emmène des enfants de 10 ans devant le Plan et que l’histoire de Rome leur est racontée, il se produit un choc esthétique… Car c’est beau, comme objet, cela déclenche des choses. La connaissance passe aussi par la sensibilité et l’esthétique.
Cette maquette constitue un support explicatif intéressant sur la Rome monumentale, certes. Mais au-delà de cela : depuis le début des années 90, toute une équipe de latinistes, agrandie à d’autres forces dans une équipe CIREVE développe des travaux consistant à construire la Rome virtuelle à partir de l’idée du Plan de Rome – et non de l’objet physique. Aujourd’hui, il existe une Rome virtuelle qui est tous les ans nourrie par les dernières découvertes archéologiques faisant consensus. Par exemple, si on visite le théâtre de Pompée, la couleur de tel ou tel marbre correspond à ce qui a été retrouvé sur place. Ce projet était très précurseur dans les années 90. Il continue aujourd’hui une très belle course scientifique et de partage de la connaissance.

Une dernière question : comment décririez-vous Caen ? Qu’est-ce qui fait selon vous sa vitalité, son attractivité ?

Caen est une ville dont la taille a deux caractéristiques. La première, c’est qu’elle dispose de la masse critique nécessaire à quantité d’activités. La deuxième, c’est qu’elle n’est pas trop grande, elle n’a pas “l’effet négatif métropole”. Les contacts entre les différents milieux (économiques, culturels, scientifiques) nécessaires à la réalisation d’idées et de projets s’en trouvent donc facilités. Caen bénéficie d’une taille intéressante pour ceux qui s’intéressent non seulement à développer ce qu’ils font, mais aussi à travailler au développement de leur territoire. C’est ainsi qu’une approche très volontariste de dizaines d’acteurs depuis un peu plus de deux décennies ont, entre industrie et recherche donné naissance à une dynamique de développement qui attire.
La région caennaise dispose aussi d’une grande histoire culturelle, et ce depuis longtemps. Les académies de sciences et de lettres ont d’ailleurs été ouvertes à Caen quasiment en même temps qu’à Paris ! Siècle après siècle, l’épaisseur du dynamisme intellectuel a perduré. En Europe, dans le rapport taille/création scientifique et intellectuelle, Caen est une ville qui est deux ou trois crans au-dessus de sa dimension.
Nous pouvons aussi évoquer l’aspect “agréments”. Beaucoup de gens qui viennent d’Ile-de-France apprécient la proximité de la mer. Pourquoi ? Parce que le lien à la mer est désormais au cœur des centres d’intérêt des individus. En outre, à la différence de la Bretagne, la Normandie n’a pas développé une agriculture ultra-intensive, des élevages de porcs massifs, etc. De fait, la qualité environnementale de la Normandie est très préservée même si d’autres enjeux se posent : on observe une énorme densité d’usage le long des littoraux, avec des activités contradictoires : ports, plaisance, pêche d’élevage, etc. C’est considérable.
Enfin, il y a aussi l’héritage, notamment architectural. En Normandie, malgré les diverses destructions d’après-guerre, que ce soit dans le Cotentin, dans le Bessin, dans le pays d’Auge, les rives de Seine ou le Perche, il y a une qualité paysagère et d’architecture considérable. Ainsi, le Calvados, malgré les destructions, est le département français qui compte le plus de bâtiments à l’inventaire du patrimoine historique. En conclusion : quand on additionne, pour une ville, une dynamique entre culture, économie et environnement, cela fait quelques qualités dans le contexte européen !

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