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Vincent Etchebehere Air France
01.11.23

Vincent Etchebehere : Air France à l’heure de la transition écologique

       Basculer vers la décarbonation, tel est le défi majeur d’Air France pour répondre aux enjeux climatiques et environnementaux. Échange avec Vincent Etchebehere, VP Développement Durable et nouvelles mobilités au sein de la célèbre compagnie aérienne, qui nous partage ce que cet engagement implique.

Pouvez-présenter le champs de vos responsabilités et vos chantiers prioritaires en tant que VP développement durable et nouvelles mobilités ?

Mon équipe et moi-même, en lien avec toute l’organisation Air France, travaillons sur tout le spectre de la transition écologique : climat, gestion des ressources, des déchets, protection de la biodiversité, réduction des nuisances sonores. La principale externalité environnementale de l’aérien étant son impact climatique, c’est là que se concentrent nos efforts prioritaires : poursuite d’une trajectoire de décarbonation alignée avec la Science d’une part ; compréhension et réduction des effets non-CO2 des opérations aériennes (en particulier, les traînées de condensation persistantes). C’est un énorme défi pour une compagnie aérienne, notre secteur étant à l’heure actuelle très dépendant des énergies fossiles (kérosène) – mais c’est un défi indispensable à relever, face aux enjeux climatiques et environnementaux, c’est pour cela qu’il est passionnant – et très mobilisateur en interne.

Le secteur de l’aviation a été fortement impacté par la crise du Covid. Comment le groupe a-t-il réussi à reprendre son envol après la crise sanitaire ? De même, comment la compagnie a-t-elle fait face à la récente crise énergétique (hausse du coût du pétrole…) ?

La crise Covid a lourdement impacté le secteur aérien dans son ensemble. On constate cependant que la demande est revenue et nous avons retrouvé des taux de remplissage très proches de l’avant crise.

Cette crise a également vu se développer des changements de comportements de nos clients. De la part de nos clients à motif loisir, avec une plus grande considération de l’empreinte carbone de leurs déplacements, aspirant à plus de sobriété, en partant moins souvent et restant plus longtemps sur place, en privilégiant le train lorsque cela est possible (c’est toute le sens du renforcement de notre partenariat avec la SNCF). De la part de nos clients entreprises, avec bien sûr le développement du télétravail, de la visioconférence, mais aussi dans le cadre de leurs propres trajectoires de réductions d’émissions de CO2 (nous ayant amené dès 2021 à leur proposer des contrats SAF – carburants d’aviation durables – leur permettant de réduire les émissions de CO2 de leurs trajets aériens, en complément de mesures de modération du trafic).

Malgré les impacts financiers très lourds pendant cette période, Air France a choisi pendant la crise de conserver les investissements précédemment définis en terme de renouvellement de flotte (par des appareils moins consommateurs de carburant, et donc moins émissifs), dans une logique de réduction des coûts unitaires, mais aussi dans l’optique d’accélération de notre trajectoire de décarbonation. Entre 2005 et 2019 nous avions réduit de 6% nos émissions de CO2 en valeur absolue (hors compensation), une bonne première étape : mais face à l’urgence climatique et aux attentes de nos parties prenantes – au premier rang desquelles, nos clients et nos salariés – nous devons faire deux fois plus, en deux fois moins de temps.

La crise énergétique et l’inflation nous placent aujourd’hui dans une logique d’augmentation des coûts, notamment du fait de l’augmentation des prix du kérosène qui représente 20 à 30% des coûts d’une compagnie aérienne. Nos coûts énergétiques augmenteront également à l’avenir au vu de l’incorporation progressive de carburants d’aviation durables, ou SAF (levier majeur de notre décarbonation, puisque permettant une réduction d’au moins 75% d’émissions de CO2 sur leur cycle de vie par rapport au kérosène), qui sont actuellement entre 3 et 5 fois plus cher que les carburants classiques. Nous avons à ce titre mis en place en janvier 2022, en totale transparence envers nos clients, une contribution SAF dans le prix de nos billets au départ de France.

La lutte contre les émissions de CO2 du transport aérien est engagée, mais le chemin pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, s’annonce semé d’embûches, tant l’ampleur de la transition est colossale. A quels enjeux le secteur aérien est-il confronté pour engager sa décarbonation ?

Effectivement la tâche est immense, et en même temps elle n’est pas une option.

Le secteur aérien représente actuellement environ 2.6% des émissions de CO2 au niveau mondial. En y ajoutant les effets non-CO2 (traînées de condensation en particulier), la part de l’aérien au réchauffement du climat est estimée aux alentours de 5%. Les émissions du secteur au niveau mondial, en valeur absolue, ont historiquement continuellement augmenté (+42% entre 2005 et 2019). Or pour suivre une trajectoire alignée avec l’Accord de Paris, les émissions de tous les secteurs – aérien compris – doivent décroitre. C’est une véritable bascule qui doit s’opérer.

La décarbonation du secteur passera par deux axes principaux, et complémentaires, la sobriété – avec les évolutions déjà à l’œuvre dont j’ai parlé – et la technologie : en matière d’appareils et de moteurs, mais aussi de carburants (SAF).

Le transport aérien, à travers l’organisation de l’Aviation Civile Internationale, s’est engagé à atteindre un objectif de 0 émission nette à horizon 2050 – et cela est vertueux et indispensable pour que notre secteur joue son plein rôle dans l’atteinte de la neutralité carbone mondiale à cet horizon. Cependant, ce n’est pas suffisant : ce qui compte en matière climatique ce ne sont pas les émissions générées une année donnée, mais bien le cumul des émissions dans le temps. C’est la raison pour laquelle notre principal objectif de réduction d’émissions se situe à l’horizon 2030, et vise une baisse de 30% de nos émissions de CO2 par passager-kilomètre par rapport à 2019 (hors compensation). Cet objectif a été validé en 2022 par l’organisme indépendant Science Based Targets initiative, afin de garantir une trajectoire de décarbonation alignée avec les objectifs de l’Accord de Paris.

Le Groupe ambitionne de devenir pionnier de l’aviation durable. Air France-KLM a conclu notamment l’an passé un accord avec l’entreprise finlandaise de raffinage Neste ainsi que DG Fuels, entreprise américaine, pour la fourniture d’un million de tonnes de carburants d’aviation durables entre 2023 et 2030. En quoi les carburants d’aviation durable s’inscrivent comme un levier essentiel de la décarbonation de l’industrie aérienne ?

L’enjeu clé de décarbonation des compagnies aériennes sera de substituer, progressivement mais rapidement, le kérosène fossile par des carburants non fossiles, les SAfs. Ceux-ci vont constituer le levier décisif de décarbonation de l’aviation – tous les acteurs du secteur convergent aujourd’hui sur ce point. Deux grands défis sont à relever : leur production doit augmenter fortement et rapidement (ils ne représentaient que 0.1% de la consommation de carburants d’aviation dans le monde en 2022, mais dix fois plus pour les vols au départ de France, dans le cadre du mandat Français d’incorporation de 1% de SAF), et leurs prix actuellement élevés. Pour que les SAFs soient une solution véritablement vertueuse pour la transition écologique du secteur, leur pleine intégrité environnementale doit être assurée. En particulier, leur production ne doit pas entrer en concurrence avec la chaîne alimentaire – humaine ou animale – et ne pas entraîner de déforestation. L’Union Européenne l’a parfaitement intégré, puisqu’elle impose des critères de durabilité très strictes permettant de s’en assurer, mais ce n’est pas encore le cas de toutes les régions du monde. Dans ce contexte Air France-KLM n’achète que du SAF conforme à la réglementation européenne, même pour le SAF acheté en dehors d’Europe.

Nous sommes aujourd’hui à un tournant concernant les SAFs. Car il faut savoir qu’il ne s’agit pas d’un sujet nouveau : les SAFs sont connus, ont été testés depuis plus de 10 ans. Par exemple, entre 2014 et 2016, Air France avait opéré 70 vols avec 10% de SAF entre Paris et Nice et Paris et Toulouse. Le problème, c’est que les énergéticiens ne disposaient pas d’un signal de demande clair de la part du secteur, or il faut savoir que monter une usine de production de SAF nécessite 5 à 7 ans et des centaines de Mln€ d’investissements. Et c’est exactement cela qui est en train de changer, notamment au niveau de l’Union Européenne, qui vient d’inscrire dans sa réglementation une trajectoire de mandats d’incorporation – obligatoire – de SAF : 2% d’incorporation pour tous les vols au départ d’Europe en 2025, 6% en 2030, 20% en 2035 et jusqu’à 70% en 2030. A cela s’ajoutent des engagements clairs de compagnies aériennes allant même au-delà de la réglementation – c’est le cas d’Air France et d’Air France-KLM.

Un défi majeur réside cependant dans le fait que cette réglementation n’est pas homogène au niveau mondial, créant ainsi – de par l’ampleur des surcoûts SAF – des risques importants de distorsions de concurrence et de report de trafic vers des hubs non-Européens.

Et quelles sont les actions mises en place au global par Air-France KLM pour atteindre ses objectifs de décarbonation ? (-30% d’émissions de CO2 par passager/km à l’horizon 2030 par rapport à 2019)

Pour atteindre ces objectifs nous déployons quatre leviers principaux : un renouvellement de notre flotte à un rythme sans précédent, avec le remplacement progressif de nos appareils Court et Moyen Courrier par des Airbus A220, générant 20% d’émissions en moins, et de nos appareils Long Courrier par des Airbus A350 (25% d’émissions en moins). En 2021 la flotte d’Air France était composée de 7% de ces avions de nouvelle génération ; ce taux passera à 30% dès fin 2023, et 70% en 2030. C’est à court terme le levier le plus impactant de réduction d’émissions, mais qui bien sût représente des investissements très importants (plus d’un milliard € par an dans le cas d’Air France). L’éco-pilotage, un ensemble de pratiques mises en place par nos pilotes – extrêmement engagés sur le sujet – pour minimiser la consommation de carburant sur chaque vol (roulage à un seul moteur, optimisation des trajectoires, descentes en continue plutôt que par palier, branchement de l’appareil à des groupes électriques au sol plutôt que de solliciter les moteurs) : ce levier nous permet actuellement d’éviter 4 à 5% d’émissions par an. L’intermodalité, en particulier autour de notre produit Train + Air conjoint avec la SNCF en France, permettant à nos clients de combiner en une seule réservation un trajet TGV en connexion avec un vol moyen ou long courrier (disponible aujourd’hui sur 41 lignes TGV, contre 28 il y a 3 ans). Enfin, les SAFs : en 2022 le groupe Air France – KLM a utilisé 17% du SAF produit au niveau mondial, alors qu’il ne représente que 3% de l’activité aérienne dans le monde, faisant de lui le premier utilisateur actuellement de SAF ; nous visons une incorporation de 10% de SAF à horizon 2030 – au-delà de la réglementation Européenne – et avons signé fin 2022 nos premiers contrats d’approvisionnement long terme de SAF, nous permettant de sécuriser déjà un tiers de nos besoins 2030.

Le Groupe emploie plus de 73 000 collaborateurs dans le monde. Comment sensibiliser et fédérer l’ensemble des équipes autour des objectifs climat fixés par votre stratégie de développement durable ?

La sensibilisation de nos salariés aux enjeux environnementaux, et en particulier climatiques, est un axe majeur de notre stratégie de développement durable. C’en est même un prérequis, puisque pour apporter des solutions à un problème, il faut commencer par bien le comprendre. On n’agit pas bien sur un sujet que l’on connaît mal.

Or, comme dans beaucoup d’entreprises, la plupart des salariés n’ont pas reçu dans leur cursus académique de formation sur ces problématiques. C’est pourquoi nous déployons en interne depuis 2020 la Fresque du Climat, atelier d’intelligence collective qui permet de comprendre les enjeux climatiques en se basant sur les données scientifiques de référence. A date, plus de 3500 salariés d’Air France ont participé à ces ateliers, et nous en organisons aussi pour nos compagnies partenaires.

En complément, nous avons créé des modules de formation spécifiques sur les enjeux environnementaux de l’aérien, et avons mis en place un réseau de référents environnement dans chaque direction de l’entreprise. L’expérience nous a montré que plus nos collaborateurs sont sensibilisés à ces questions, plus ils souhaitent et sont à même de passer à l’action dans leurs différents métiers. C’est donc un outil indispensable à la mobilisation interne et à la diffusion de nos actions environnementales partout dans l’entreprise.

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