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21.04.22

Nuance – Un bien grand mot

       Initialement associée aux couleurs, la nuance a bien voyagé jusqu'à évoquer - au sens figuré - une forme de subtilité. Elle prend tout son sens aujourd'hui dans notre monde fait de slogans, d'avis tranchés et d'émotion, où le doute, la précaution et la diplomatie semblent laisser place aux certitudes, aux invectives et à l'indignation. Éclairage et partis pris, par Un Bien Grand Mot.

« Il n’y a pas un confinement mais cinquante nuances de mesures», a lâché Olivier Véran le 25 mars 2021 concernant les motivations au retour de nouvelles formes de confinement.

Au-delà du simple jeu de mots, la formule n’est pas anodine puisqu’elle met en exergue la notion essentielle de nuance. Caricature, séparatisme, vaccination, fermeture des écoles … Rien de plus facile aujourd’hui que d’allumer la mèche sur les réseaux sociaux. Nombreux sont les sujets à éviter en société, mais aussi dans des cercles plus restreints, tels qu’amicaux ou familiaux sous peine de réactions épidermiques voire de ruptures.

Le premier mot

Le terme nuance se construit sur le verbe nuer qui signifie assortir, unir harmonieusement les couleurs. Il repose sur la racine nuba qui se traduit par « nuage, essaim, voile, obscurité ». C’est d’ailleurs ce terme qui donne le mot nuage en français. Nue au sens de nuage a reculé au XIXe siècle même si on le retrouve dans l’expression « porter aux nues » ou « tomber des nues ». La nuance est associée initialement aux couleurs mais prend ses sens figurés aux XVIIe et XVIIIe siècles. La nuance traduit ainsi différents états par lesquels la couleur mais également un son peuvent passer mais aussi une modification pouvant signifier une forme de subtilité.

Mot à mot 

Dans ce monde du slogan, de la dictature de l’émotion, difficile d’engager la discussion. Les avis sont de plus en plus tranchés. Il faut aller vite et marquer les esprits. Au diable la nuance, celle qui nous permet de conserver une forme de précaution, un pas vers la politesse. Non, aujourd’hui il faut taper vite et fort, la diplomatie n’existe plus. Les interactions sociales semblent nous imposer, sous la pression des réseaux sociaux, de plus en plus de rapports de force. Paradoxalement, nous n’avons jamais autant manqué de courage que pour défendre les valeurs auxquelles nous sommes attachés au risque d’incompréhension voire même de représailles. Or, ce qui s’apparente ici à une forme de relativisme, n’est pas la nuance, c’est simplement la volonté de ne froisser personne au risque d’en arriver à un manque flagrant de courage. Si l’on prône la nuance, est-ce pour autant que nous privilégions le consensus au risque d’être mou ? Oui au consensus, si l’on considère ce dernier non pas comme un objectif mais comme une conséquence que l’on tire d’un débat, d’un dialogue sur laquelle nous tomberions tous d’accord. Et non à la mollesse, bien au contraire ! Nous pouvons tout à fait trouver une voie en ayant des certitudes sans pour autant prôner l’affirmation si franche qu’elle refuserait le débat. Sans concevoir l’autre comme un ennemi potentiel mais comme un contradicteur dont on peut se nourrir des idées, une voie semble être possible pour bâtir une zone de non-agression.

Car le conflit peut faire naître de nouvelles idées, de nouveaux chemins à dessiner. Il n’y a pas d’innovation sans contrainte, il en est de même pour le débat d’idées. « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place », comme le souligne Albert Camus dans Combat.

Le mot de la fin

Mais est-ce qu’aujourd’hui la nuance est rendue impossible par notre nouvelle grille de lecture favorisée par les réseaux sociaux ? Est-ce possible d’émettre une opinion mesurée en 280 caractères ? En ligne, caché derrière un pseudo, on peut tout s’autoriser, retirer le filtre de la bienséance qui prédomine en société pour laisser place au pire de nous-mêmes.

Indignations et invectives, plus le contenu est chargé émotionnellement, plus il aura des chances d’être partagé. Or, que vaut un tweet, s’il n’est pas partagé ? Pas grand-chose, puisque sa valeur marchande réside dans sa viralité. Les réseaux sont sans visage, aucune expression physique de la peine, de la colère ou de la tristesse. Sans altérité, pas de prise de conscience de l’émotion face à un tweet. Nous pouvons donc nous en donner à cœur joie !

Face à l’usure de la situation actuelle, dans ce contexte complexe où prédominent l’attente, l’inquiétude et le manque de perspective, faisons collectivement ce dernier effort de la nuance. Nous nous éviterons ainsi la banalité du mal pour reprendre les propos d’Hannah Arendt ou tout simplement l’indécence devenue tristement ordinaire.

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