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06.03.23

Guerre en Ukraine : Un an après…

        Alors que le conflit en Ukraine a débuté le 24 février 2022, À priori(s) dresse un bilan de cette première année de guerre. Résistance des Ukrainiens, unité des Européens, perspectives d’évolution du conflit, etc… Éclairage avec Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors, et Florent Parmentier, chercheur associé au centre de géopolitique de HEC.

Lorsque le conflit a débuté, il semblait difficile d’imaginer que l’Ukraine résisterait autant à la Russie. Qu’est-ce qui a déjoué le plan russe ?

Florent Parmentier :  Il y a eu une énorme erreur de préparation du côté des Russes, en particulier au niveau du renseignement. Sans doute parce que les informations transmises n’étaient pas exactes.  

Cette faillite s’est également manifestée au niveau du commandement opérationnel. L’armée russe, à plusieurs reprises, a été déstabilisée par les modalités de combat de l’armée ukrainienne, notamment par l’usage de drones. Des difficultés ont également été rencontrées au niveau de la logistique, du management intermédiaire ou encore du manque d’interopérabilité des armées.

Cyrille Bret : Certes la question militaire joue à plein mais la solidité de l’identité nationale ukrainienne ne doit pas être sous-estimée. Elle constitue en effet le principal ressort de la résistance et de la résilience des Ukrainiens.

La vraie erreur de jugement stratégique commise par le Kremlin, c’est bien d’avoir sous-estimé l’existence, la solidité et la cohérence de l’identité nationale ukrainienne.

On pensait ce pays divisé entre russophones et ukrainophones, entre mineurs et paysans, entre populations issues de l’empire austro-hongrois et populations marquées par l’héritage soviétique. Par-delà cette diversité, la population a su faire front autour d’une identité nationale commune.     

Autre phénomène que Moscou n’avait pas anticipé : la solidarité et la réactivité des institutions de l’Union européenne. Moscou comptait en effet sur la lenteur coutumière de l’Union européenne. Or, celle-ci s’est montrée très réactive à travers des sanctions fortes qui changent la nature même de sa politique extérieure.

Ce conflit a, en effet, révélé paradoxalement l’unité de l’Union européenne à travers un soutien unanime aux Ukrainiens. Peut-on imaginer que ce soutien finisse par s’éroder ?

Cyrille Bret : Une érosion de ce soutien est parfaitement envisageable en raison de deux fragilités intrinsèques à l’Union européenne. D’une part, c’est une organisation démocratique. Autrement dit, l’opinion publique des États-membres peut remettre en question et contester les choix de ses dirigeants politiques. D’autre part, les sanctions infligées à la Russie sont susceptibles de nuire à la prospérité des États-membres. In fine, les sanctions peuvent finir par générer une fatigue économique de nature à les rendre impopulaires. Si la guerre dure, ce risque d’érosion pourra également toucher les États-Unis parce qu’au fond c’est la Chine et non la Russie qui constitue le dossier prioritaire.

Florent Parmentier : La question de l’après doit également se poser dans les relations qu’entretiennent les Occidentaux avec la Russie. Est-ce que l’on veut se barricader à l’égard de ce voisin ? Est-ce que l’on souhaite reconstruire des relations ? Bien sûr, cela va dépendre de l’évolution de cette guerre.

Autre sujet qui suscite de multiples interrogations : qui va financer la reconstruction de l’Ukraine ? Cela risque de générer des désaccords entre les États-membres. Quid de la place de l’Ukraine ? Finira-t-elle par devenir membre de l’Otan ? Difficile d’y voir plus clair à ce stade.

Quel rôle pourrait jouer la Chine ?   

Cyrille Bret : Le moins que l’on puisse dire c’est que la Chine s’est illustrée par son ambiguïté. Elle a condamné officiellement l’attaque russe tout en multipliant les gestes de soutien à la Russie. Malgré cette proximité avec Moscou, on ne peut pas vraiment parler d’alliance mais plutôt de partenariat entre la Russie et la Chine. Gardons en mémoire que ces deux pays sont en situation de rivalité en Asie centrale et qu’ils sont en désaccord au sujet de l’Inde.

Il est peu probable que la Chine se présente en médiateur du conflit. Elle va surtout chercher à en tirer profit. Elle pourrait capitaliser à la fois sur la dispersion des forces états-uniennes mais également sur l’affaiblissement de son partenaire russe.  

Florent Parmentier : La Chine fait preuve d’ambiguïté. Mais elle n’est pas seule. Songeons au Brésil. Jair Bolsonaro, tout en reconnaissant l’agression russe, s’est montré frileux à l’égard des sanctions infligées à la Russie, ceci en raison de la dépendance du Brésil à la Russie en matière d’engrais. Dans la même logique, Lula a déclaré en mai dernier que Volodymyr Zelensky avait sa part de responsabilité dans le déclenchement du conflit. Plus récemment, lorsqu’Olaf Scholz a demandé des munitions au Brésil, il a essuyé un refus.

L’ambiguïté se manifeste également du côté des Turcs ou encore des Indiens, qui achètent une quantité astronomique de gaz et de pétrole provenant de Russie.

Quelles sont les principales conséquences de cette guerre sur les voisins des belligérants ?

Florent Parmentier : Du côté biélorusse, cette guerre renforce un peu plus la position d’Alexandre Loukachenko auprès de Moscou. En effet, certaines des troupes russes se trouvent sur le territoire biélorusse.  

De son côté, la Moldavie a profité de la situation pour être reconnue comme un État candidat à l’Union européenne. Il faut également noter qu’elle accueille de nombreux réfugiés ukrainiens sur son sol.

Dans le Caucase, on constate que l’Arménie est la grande perdante de ce conflit car, pour diversifier ses sources d’approvisionnement en énergie, l’Union Européenne achète du gaz à l’Azerbaïdjan. Ce choix contraste avec la solidarité exprimée par les pays de l’UE à l’égard de l’Arménie dans le conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan…

Concernant plus précisément la Géorgie et l’Arménie, on ne peut qu’être frappés par l’afflux de réfugiés russes souhaitant échapper à la conscription. Cet afflux de main d’œuvre russophone entraîne une hausse conséquente de la croissance de ces deux pays. 

Cyrille Bret : Évoquons aussi les Balkans. La guerre en Ukraine y attise des tensions entre les pays qui ont des solidarités culturelles et historiques avec la Russie, principalement la Serbie et d’autres États plutôt pro-occidentaux.

La guerre cristallise également les tensions entre les États-membres de l’Union européenne (comme la Croatie et la Slovénie) et ceux qui sont candidats. On a accordé rapidement à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de pays candidat à l’UE, alors que la Serbie et l’Albanie ont attendu de nombreuses années avant de l’obtenir. Cela peut susciter un sentiment d’injustice au sein des pays concernés.    

Quid de la rhétorique de Poutine sur le recours à l’arme nucléaire ? Peut-on imaginer un passage à l’acte ?

 Cyrille Bret : J’ai toujours été convaincu que ce risque était sérieux. Cela dit, ce n’est pas parce que les mois passent que le risque nucléaire s’accroît. Nous en resterons au combat conventionnel tant que les intérêts stratégiques vitaux de la Russie ne seront pas touchés. Peut-être faut-il s’attendre à plusieurs années de combats conventionnels sans usage de l’arme atomique. Mais supposons qu’un jour l’Ukraine conduise une opération d’envergure visant à reprendre la Crimée, alors le conflit prendrait une tournure bien différente. Disons que c’est la nature des opérations qui va déterminer le risque nucléaire. L’armement que fournissent les Occidentaux aux Ukrainiens peut également accroître ce risque.

Florent Parmentier : Nombreux sont ceux qui estiment que c’est un épouvantail relevant uniquement d’une rhétorique agressive. Pourtant, le risque de passage à l’acte doit être pris au sérieux.

Il y a un seuil à partir duquel l’arme nucléaire peut être utilisée, principalement en cas d’atteinte portée à un intérêt stratégique vital de la Russie. Encore faut-il savoir ce qu’est un intérêt stratégique vital. Par exemple, comment analyser une attaque visant les régions annexées illégalement en Ukraine ? À partir de quand la Russie peut-elle considérer que son territoire est menacé ?

N’oublions pas que si la Russie n’utilise pas l’arme nucléaire à ce stade c’est aussi parce qu’elle perçoit que le temps joue en sa faveur.

Quels sont les principaux scénarios pour les mois à venir ?

Florent Parmentier : Il y a tout d’abord le scénario de la continuation de la contre-offensive ukrainienne. C’est l’idée selon laquelle l’Ukraine peut l’emporter. Cette victoire pourrait notamment résulter d’un approvisionnement plus massif d’armement de la part des pays occidentaux.

Puis un second scénario marqué par une victoire de la Russie, qui résulterait de l’épuisement des Ukrainiens face à une guerre d’attrition. Cet échec des Ukrainiens pourrait aussi être dû à un recul du soutien des Occidentaux.

En dépit de leur engagement et de leur résistance, les Ukrainiens seraient alors tenus de céder une partie de leur territoire. Ce scénario n’est pas sans rappeler la guerre d’Hiver (qui s’est déroulée entre novembre 1939 et mars 1940), au cours de laquelle l’URSS avait attaqué la Finlande. Placée sous l’autorité du maréchal Mannerheim, l’armée finlandaise avait dû accepter de faire des concessions afin d’éviter de trop lourdes pertes humaines. La réalisation du « scénario Mannerheim » est tout à fait plausible dans le cas du conflit en Ukraine.

 Cyrille Bret : Enfin, il y a le scénario de l’enlisement, dans lequel aucun des belligérants ne parviendrait à prendre l’ascendant sur l’autre. Si cette hypothèse venait à se concrétiser, les grandes lignes de front se stabiliseraient sur les positions actuelles.

N’oublions pas que l’entrée en négociation serait un aveu d’échec pour Poutine. Volodymyr Zelenski aurait également à perdre à engager des négociations. Ce dernier risquerait de perdre le soutien dont il bénéficie dans son pays mais également sur le plan international.    

Derrière ces principaux scénarios, il y a des hypothèses secondaires. Songeons à une éventuelle déroute du Kremlin ou encore à un mouvement des Ukrainiens pour réclamer la fin des hostilités…  

 

 

 

 

 

 

 

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Jean Viard est un sociologue, éditeur et homme politique français. Il est aussi directeur de recherches associé CNRS au CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po). Fin connaisseur du territoire français, auteur éclectique, il a notamment travaillé sur l’espace (aménagement du territoire, agriculture et paysannerie),les « temps sociaux » (les vacances, les 35 heures), la mobilité et le politique. Pour À Priori(s), il livre sa perception et son analyse de l’engouement populaire rencontré par les Jeux Olympiques de Paris 2024.

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