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05.12.22

Cyrille Bret : « Il faut s’attendre à ce que le conflit dure de nombreux mois »

       Contre-offensive ukrainienne, attitude de l’Union Européenne, ouverture de négociations. Alors que le conflit s’enlise en Ukraine, nouveau point d’étape avec Cyrille Bret, contributeur régulier pour À priori(s) et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors.

Quelle est la situation actuelle sur le front ukrainien ?

Le front est relativement stabilisé après le succès des contre-offensives ukrainiennes qui ont eu lieu entre le mois d’août et d’octobre. La situation est également stabilisée dans le rapport de force militaire. Les deux belligérants essaient de consolider leurs lignes. Du côté ukrainien, l’État doit solidifier sa souveraineté sur les territoires reconquis. Du côté russe, il faut rassembler des forces pour préparer une riposte. Cette stabilisation n’empêche pas que des opérations de bombardements massives soient menées par les Russes sur la profondeur du territoire ukrainien.

Quel regard portez-vous sur l’annexion par la Russie de plusieurs régions ukrainiennes en octobre dernier ?

La Russie a annexé 4 provinces. Ceci, sur la base de référendums adoptés au mépris du droit. Ces annexions ont eu lieu en octobre pour juguler l’avancée militaire des Ukrainiens qui progressaient au sud et à l’est et alors que les combats faisaient rage autour de la centrale de Zaporijia.

Il convient de préciser que la région de Louhansk et celle de Donetsk étaient en partie dominées par des séparatistes de nationalité ukrainienne soutenus par la Russie. L’emprise russe sur ces territoires était donc déjà assez forte. Ce qui n’est pas le cas de Kherson et Zaporijia. Mais la présence russe dans ces deux provinces est nettement plus précaire que dans les deux autres régions, comme le prouve la reconquête de Kherson.

La Russie a mené de multiples attaques visant des infrastructures énergétiques ukrainiennes. Cette stratégie peut-elle plonger l’Ukraine dans une situation énergétique chaotique à l’approche de l’hiver ?

Depuis que les contre-offensives ukrainiennes ont été lancées fin août, la Russie a changé son mode d’action. En recul sur la ligne de front, elle a frappé en profondeur le territoire ukrainien, y compris à l’ouest. Elle a frappé des centres-villes, des infrastructures énergétiques, ferroviaires, routières, d’adduction d’eau. Les frappes ont été conduites de façon massive et sur des cibles civiles.  

Cette politique de la terre brûlée est un invariant de la stratégie russe, comme l’ont déjà prouvé les guerres napoléoniennes et la Première Guerre mondiale. Cette stratégie poursuit plusieurs finalités. En premier lieu, il s’agit de provoquer un nouvel afflux de réfugiés ukrainiens vers l’Europe de l’Ouest pour maintenir la pression sur les pays de l’UE. En second lieu, cette démarche vise à rendre l’Ukraine ingérable en paralysant la population. Faute d’obtenir des gains territoriaux ou de tenir ses positions, la Russie frappe dans la profondeur pour plonger la société civile ukrainienne dans une situation invivable.

L’UE soutient-elle suffisamment l’Ukraine ? Peut-elle aller encore plus loin en matière de sanctions ?

L’Occident soutient l’Ukraine depuis les Révolutions de couleur des années 2000. L’aide aujourd’hui apportée à l’Ukraine prend deux formes. D’une part, a été mise en place une stratégie de sanctions (pour aller plus loin : l’Europe face à la Russie : quel avenir pour la stratégie des sanctions ?). D’autre part, l’Occident soutient l’Ukraine par des envois d’armes et la fourniture de renseignements militaires. Les huit vagues de sanctions ont un coût significatif pour les sociétés européennes. Elles sont prêtes à faire des sacrifices pour permettre à l’Ukraine de préserver sa souveraineté et son intégrité territoriale. Actuellement, 1 200 personnes physiques et 116 personnes morales sont frappées par des sanctions. Il faudra songer à une autre vague de sanctions si les opérations russes s’intensifient. Toutes ces mesures provoquent une accélération de la récession en Russie. D’après le FMI, le PIB russe se contractera de -3,2 % en 2022, et de -9 % selon la Banque Mondiale.

Cela fait neuf mois que le conflit a débuté. Un risque d’enlisement est-il à craindre ? Peut-on imaginer l’ouverture de négociations ?

Le risque d’enlisement est bien présent. Il faut s’attendre à ce que le conflit dure encore de nombreux mois, voire davantage. Cet enlisement sera violent, marqué par des soubresauts et des contre-offensives. Quant à l’ouverture de négociations, je n’y crois guère. Les Ukrainiens sont stimulés par les succès de leur contre-offensive. S’ajoute à cela leur insistance sur le fait qu’ils ne cesseraient pas leurs opérations avant d’avoir reconquis l’intégralité de leur territoire, Crimée comprise. Ce serait un suicide politique pour Volodymyr Zelensky que d’engager des négociations.

L’émergence d’une volonté de négocier côté russe paraît tout aussi improbable. Les Russes ont l’habitude de négocier en position de force, ce qui n’est pas le cas actuellement, notamment avec la perte récente de Kherson. Dans la tradition russe, on ne négocie jamais après une défaite…

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