Quelle est votre définition de l’optimisme ?
Si l’on doit proposer une définition expérientielle, on pourrait dire que l’optimisme c’est le choix d’un individu de mettre le plus souvent possible le réel, quel qu’il soit, sous la tension la plus positive possible. C’est-à-dire être en mesure de répondre à la question : Que peut-on faire de mieux avec le réel ? On est sur une approche qui est, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, à l’opposé de l’idéalisme. C’est une forme de pragmatisme souriant. Certes, Il existe un optimisme « ontologique », une façon d’être-au-monde, un trait de caractère que certains d’entre nous possèdent depuis toujours du fait des expériences de leur vie, des messages d’éducation reçus, etc. Le sujet ici c’est plutôt l’optimisme « méthodologique » en tant que choix intellectuel, relationnel, qui n’a strictement rien à voir avec le premier.
Je peux, par exemple, être de mauvaise humeur, même un peu déprimé, mais si je suis soignant, manager, travailleur social, éducateur ou tout simplement parent, je dois aux autres une posture qui va les mettre en énergie. Or, il n’y a pas d’alternative à l’optimisme pour mettre autrui en énergie. Ça ne veut pas dire pour autant que le pessimisme n’est pas utile, il est là pour réguler, en signe de précaution et d’alerte.
« On pourrait dire que l'optimisme c'est le choix d'un individu de mettre le plus souvent possible le réel, quel qu'il soit, sous la tension la plus positive possible. C'est-à-dire être en mesure de répondre à la question : Que peut-on faire de mieux avec le réel ? »
Philippe Gabilliet
Quels sont les leviers pour développer son optimisme ?
Je vais davantage parler des trois gestes barrières anti-pessimisme. La première posture est projective. C’est une sorte de discipline intellectuelle, qui me conduit à affirmer en toute circonstance que, quel que soit le réel vécu aujourd’hui, il peut s’améliorer demain. Le monde n’est pas une suite ininterrompue d’impasses. Le champ des possibles est beaucoup plus intéressant et dynamisant que le champ des impossibles. C’est le malade qui reçoit des mauvaises analyses à qui l’on dit qu’il y a des raisons de se battre. L’optimiste, c’est quelqu’un qui, dans des situations d’interaction, devient un pédagogue des marges de manœuvre et des solutions.
La deuxième posture consiste à porter un regard sélectif sur le réel. Certes, il y a des choses qui ne vont pas, c’est incontestable, mais il faut les regarder en face. Car il ne s’agit pas de ne pas regarder ce qui est négatif, mais plus simplement de ne pas s’attarder dessus plus que de raison. Le diagnostic est posé mais l’optimiste va proposer de trouver collectivement des solutions, des points forts, et voir ce que cela nous apprend.
Et le troisième principe de l’optimisme méthodologique, c’est le pari sur le volontarisme. C’est affirmer que rien n’existe dans la vie réelle en dehors de l’action. On va quitter le « to be or not to be » Shakespearien, et on va remettre à l’ordre du jour le « to do or not to be », contemporain. « Faire ou ne pas être » tout est là. Il faut tôt ou tard passer à l’action ou renoncer à devenir ce qu’on aurait pu devenir. C’est dans le fond une posture de pari qui consiste à envisager que tout peut s’arranger, que l’on va davantage apprendre des choses qui marchent, et que l’action est souvent préférable à l’attentisme.
Qu’est-ce qu’un chef d’entreprise peut faire aujourd’hui pour justement mettre ses collaborateurs sur le chemin de l’optimisme ?
Il faut tenter de diffuser auprès de ses équipes une dimension de confiance a priori, ça peut être une confiance en soi, en son patron, ses collègues. Et c’est à cette une posture de confiance va venir s’ajouter – là est le véritable marqueur de l’optimisme – la conviction qu’en cas de problème, on saura réagir et il y aura une réaction adaptée. C’est-à-dire un sentiment de capacité d’action.
Le contraire, à savoir le pessimisme, sera donc le produit de la défiance a priori et d’un sentiment d’impuissance face à la réalité et à l’action. Dans cette situation, un cerveau humain semble fait de telle sorte que, quand on se situe dans la défiance a priori vis-à-vis de soi, des autres, du monde, de la société, et que l’on est de surcroît habité par un sentiment d’impuissance, se met en place, presque mécaniquement, ce que l’on appelle le ressentiment. Et le problème du ressentiment, c’est quelque chose que l’on a beaucoup de mal à accepter comme venant de soi. Le plus dangereux étant que le ressentiment finit presque toujours, surtout quand il est collectif, par la recherche d’un bouc émissaire.
Le message clé d’un manager face à ses troupes, serait : « Les amis, quoi qu’il arrive, il y a des solutions, et c’est peut-être vous qui les avez dans la tête. Il va falloir se bouger et en prenant en priorité appui sur nos points forts. » On va donc commencer par regarder ce qui fonctionne bien, au niveau des clients, de nos fournisseurs, de la crainte que l’on inspire chez nos concurrents… C’est à partir de cet état des lieux, que l’on priorisera les batailles gagnables à court et moyen termes. L’optimisme est donc une énergie relationnelle renouvelable, parce qu’elle augmente au fur et à mesure qu’on la partage.
Quels messages transmettre aux plus jeunes ?
Il y a de nombreux jeunes en souffrance, phénomène amplifié par le covid. Il est donc essentiel pour les parents, dans une société où le doute est omniprésent, d’inculquer une posture optimisme envers l’avenir. L’impact des messages parentaux sur la socialisation d’un enfant s’arrête autour de 12-13 ans. C’est-à-dire qu’à partir de 12-13 ans, l’enfant n’est plus socialisé par ses parents, mais par ses pairs…réels mais de plus en plus virtuels, voire imaginaires. On demande aux jeunes de se construire et d’être heureux à condition de respecter la loi, la nature, la planète, l’autre genre…bref à ne jamais déborder face à des injonctions à la conformité. C’est donc compliqué d’être heureux durablement quand toute transgression est suspecte, à priori, quelle qu’elle soit.
En psychologie, il y a trois énergies dans la relation à l’autre qui amène à passer l’acte : c’est le triangle Permission, Puissance, Protection. Aujourd’hui, la société ne permet plus grand-chose, il est donc du rôle des parents d’encourager, là où les réseaux sociaux interdisent. La mise en puissance peut être matérielle ou psychologique par le soutien ou l’encouragement. Quant à la protection, elle est offerte par les parents, les amis…ce dont les réseaux sociaux sont incapables.
« On demande aux jeunes de se construire et d’être heureux à condition de respecter la loi, la nature, la planète, l'autre genre...bref à ne jamais déborder face à des injonctions à la conformité. C’est donc compliqué d’être heureux durablement quand toute transgression est suspecte, à priori, quelle qu'elle soit. »
Philippe Gabilliet
Est-ce finalement un encouragement à la radicalité ?
Oui, mais à la radicalité du bien. Il est clair qu’aujourd’hui faire des choix de vie un peu radicaux c’est accepter de déplaire. Dans un monde qui évolue à toute vitesse il faut avoir le courage parfois de renier un certain nombre d’engagements anciens, simplement parce que le monde a changé.