Quelle est votre vision du système de santé français et européen aujourd’hui ?
En France, nous possédons sans doute l’un des meilleurs systèmes de santé. Pour preuve, il est copié partout : l’Obama care, ce n’est autre que la Couverture Maladie Universelle française ! Malheureusement, ce système est aussi chroniquement déficitaire, et donc potentiellement en péril. Des ajustements sont nécessaires pour en améliorer l’efficacité et l’accessibilité.
Face à cette situation, notre coopérative a choisi de travailler sur 6 sujets, qui sont des enjeux de santé publique définis par la France et par beaucoup de pays européens : le vieillissement de la population, l’accès aux soins pour tous, l’interprofessionnalité autour du patient, la souveraineté industrielle et sanitaire, la digitalisation du système de santé et l’intelligence artificielle et les données en vie réelle sur les patients.
Quelles initiatives avez-vous lancées dans le cadre de ces enjeux ?
En réponse à des enjeux tels que le vieillissement de la population, l’une de nos premières initiatives a été notre contribution au plan antichute du gouvernement. Première cause de mortalité accidentelle chez les plus de 65 ans, les chutes engendrent chaque année 10 000 décès et 130 000 hospitalisations, ce qui représente 2 milliards d’euros de dépenses annuelles pour le système de santé.
Pour faire face à cet enjeu crucial de santé publique, notre coopérative a imaginé un dispositif de prévention plaçant le pharmacien au cœur de la détection et de la prévention des chutes. Nous avons mené une expérimentation durant l’année 2023 dans 67 pharmacies, réparties sur l’ensemble du territoire national. Celle-ci a permis la détection de plus de 628 profils à risque pour lesquels des actions de prévention ont été mises en place, conduisant à une économie de 4,56 millions d’euros pour le système de santé selon les critères de valorisation gouvernementaux.
Aujourd’hui, nous œuvrons auprès de la sécurité sociale et les syndicats pour que ce plan antichute soit inscrit dans la loi et dans les futures missions du pharmacien. L’idée, c’est de répondre à la problématique du vieillissement de la population par des solutions simples : consultations au comptoir par le pharmacien, détection des personnes seules et des signaux faibles de perte d’autonomie à l’aide d’un petit questionnaire, proposition d’un audit gratuit du domicile de la personne, sécurisation de celui-ci, mise en place d’une télésurveillance discrète en cas de chute préalable, etc. De plus, nous avons activé une stratégie « open source » à l’intention de l’ensemble des acteurs pharmaceutiques et professionnels de santé, en partageant les éléments de mise en œuvre de notre dispositif via une plateforme web dédiée.
Selon un sondage que vous avez mené en collaboration avec l’IFOP en 2023, rares sont les seniors qui perçoivent le pharmacien comme un acteur du « bien vieillir » et de la prévention des chutes. Selon vous, en quoi le pharmacien peut-il être un coordinateur clé pour accompagner les Français dans le grand âge ?
Effectivement, notre étude a révélé que seuls 14% des seniors perçoivent le pharmacien comme un acteur du « bien vieillir » et de la prévention des chutes (contre 16% des aidants). Ce sondage a donc montré que ce qui était évident pour nous (le pharmacien est pleinement légitime pour accompagner les Français dans le grand âge) ne l’était pas pour tous. Il y a donc un vrai effort, un vrai travail à faire sur ce sujet.
Depuis le début de l’année 2024, nous tentons de convaincre les pouvoirs publics afin qu’ils inscrivent dans les missions du pharmacien la détection des signaux faibles de perte d’autonomie. Ainsi, ce professionnel de santé sera reconnu au fil du temps comme une référence en matière d’accompagnement – par les personnes âgées, mais aussi par les aidants. Nous militons en ce sens.
Quelle est votre vision du rôle du pharmacien aujourd’hui dans le système de santé ?
Chez quel professionnel peut-on aller sans rendez-vous, de 9h à 20h, lorsque l’on rencontre un problème de santé ? La réponse est claire : le pharmacien.
Il doit être le premier recours en matière de santé. Il est capable de détecter les signes précurseurs de maladies et de guider les patients. En agissant dès les premiers symptômes, on peut retarder la nécessité de recourir à l’hôpital, évitant ainsi un engorgement du système de santé.
Il nous faut imaginer un système optimisé où la pharmacie constitue le premier recours en cas de souci de santé. Elle doit être un point de départ pour des pré-détections. Il s’agit donc dans un premier temps de faire de la prévention, puis, dans un second temps, d’esquisser des parcours de soins individualisés adaptés à chaque situation. La digitalisation a son rôle à jouer dans ce système – le Ségur en a d’ailleurs défini les premières étapes. Ce n’est pas un phénomène, ce n’est pas une révolution : il s’agit de bon sens. La digitalisation et la coopération interprofessionnelle sont essentielles pour mettre en place un système de santé patient-centré et efficace.