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19.06.23

Damien Carême, rendre possible une autre politique d’accueil

       Damien Carême est un homme politique français. Membre du Parti socialiste (PS) puis d'Europe Écologie Les Verts (depuis 2015), il est maire de Grande-Synthe (Nord) de 2001 à 2019 puis député européen depuis mai 2019. En septembre 2018, il est, avec plusieurs maires de diverses tendances, à l’origine de la création de l’Association nationale des villes et territoires accueillants, association dont il assure la présidence (ANVITA).

D’où vient votre envie de vous engager en politique, notamment au niveau local ?

La politique, c’est d’abord une histoire familiale. Mon père exerçait des responsabilités dans un syndicat avant de se présenter aux élections municipales à Grande Synthe en 1971 et d’être élu Maire, et ce jusqu’en 1992. J’ai ainsi baigné dans un environnement politisé.

Après un engagement avant tout associatif, je me suis laissé convaincre de me présenter aux élections municipales, en connaissant toute la difficulté de la fonction. Ma réflexion était simple : si l’on n’est pas satisfait de nos représentants, de leur action, alors il est impératif de proposer une alternative. J’ai été élu en 2001, en portant une liste divers gauche.

J’ai été le maire de Grande-Synthe pendant 18 ans, et je confirme ce que l’on dit souvent : malgré toutes les difficultés du métier, c’est une des plus belles fonctions qui soit. J’aime le fait de toucher à tout, d’être actif dans le domaine social, l’urbanisme, l’énergie, l’alimentation et tant d’autres. Mais c’est une responsabilité très chronophage, qui demande un investissement de tous les instants, puisqu’il faut être disponible en permanence.

Grande-Synthe est située en face de la Grande-Bretagne et a pu être un passage pour des personnes migrantes, comment avez-vous géré et accueilli ce phénomène ?

Grande-Synthe se situe proche de l’autoroute qui mène à Calais. Nous avons une station-service dans la commune, où les camions font une halte avant de franchir la Manche. La réalité est simple : ces personnes profitaient de l’arrêt régulier des camions pour monter à bord dans l’espoir d’atteindre l’Angleterre.

Ces « chercheurs de refuge » comme je préfère les appeler, sont arrivés dès 2002. Pendant quelques années ils étaient très peu nombreux et ne restaient jamais plus de 24 heures. En 2008, pour la première fois nous avons constaté la présence de femmes et d’enfants. Cet hiver-là a été particulièrement rude, avec des températures négatives, près de moins quinze degrés la nuit. Alertés par les associations sur place, nous avons avec les équipes municipales, immédiatement mis à disposition des tentes chauffées pour pallier l’urgence faute de bâtiment public à disposition. Nous avons agi pour apporter à ces gens le strict minimum, installé un point d’eau, des toilettes.

La situation a perduré jusqu’en 2015, et a été modifiée avec le conflit syrien. En décembre de cette année-là, 2 500 personnes se trouvaient à Grande-Synthe. Leurs conditions de vie étaient épouvantables et indignes. En août 2015, j’ai interpellé l’État, le préfet, les sous-préfets, le ministre de l’Intérieur, le Premier ministre, et même le Président de la République.  Des CRS ont été envoyés pour éviter les insécurités, alors que je n’avais constaté aucune problématique de violence ou de délinquance. Nous avons heureusement pu compter sur un grand élan de générosité et le travail des associations pour venir en aide aux personnes sur place.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez créé l’ANVITA, Association nationale des Villes et Territoires accueillants ?

Nous avons constaté que plusieurs villes du Nord-Pas-de-Calais faisaient face au même phénomène d’arrivée de migrants sur leur territoire. Certains édiles étaient désireux d’agir, mais craignaient le risque politique d’aider ces personnes, d’autres n’en avaient tout simplement pas les moyens.

J’ai organisé à Grande-Synthe les Assises nationales pour l’accueil et l’immigration, qui a réuni un panel d’experts et d’association pour dépasser les fantasmes sur le sujet. Pendant ces assises, nous avons élaboré une charte d’engagement des villes accueillantes dont l’objet est d’organiser un accueil inconditionnel dans les villes. L’association permet aussi d’échanger sur nos problématiques communes et de mutualiser nos moyens.

Un autre objectif est de porter un autre discours sur la migration. Émigrer n’a jamais été et ne sera jamais un choix facile, cela signifie quitter son pays, sa culture, ses amis, son climat, ses biens. Quand ces gens arrivent chez nous, c’est qu’ils ont une vraie bonne raison derrière. Nous souhaitons organiser des débats apaisés, en expliquant les phénomènes, en donnant les chiffres.

Au sein de l’association, qui regroupe aujourd’hui 80 villes et territoires accueillants, nous n’abordons pas l’immigration comme un problème, parce qu’elle est là, elle l’a toujours été et elle continuera à l’être. Dire « je vais lutter contre la migration » ne sert à rien à nos yeux, et nous portons ce discours alternatif et tentons d’interpeller le gouvernement. Ce qui ne veut pas dire être « no border » pour autant comme j’ai pu le lire. Il peut y avoir des personnes renvoyées dans leur pays, mais cela doit être fait de manière digne, respectueuse des droits humains et des différentes conventions internationales. La France n’est pas toujours à la hauteur.

"Quand ces gens arrivent chez nous, c’est qu’ils ont une vraie bonne raison derrière. Nous souhaitons organiser des débats apaisés, en expliquant les phénomènes, en donnant les chiffres."

Quel est le rôle du Maire dans cet accueil et cette vision ?

On entend beaucoup en France une critique expliquant que l’on fait plus pour les migrants que pour les Français les plus défavorisés. Quand je parle d’accueil inconditionnel, cela signifie ne laisser absolument personne dormir dehors. C’est pourquoi j’ai eu peu de critique sur ce volet par les habitants, car la collectivité a joué son rôle en accompagnant les plus démunis et personnes sous le seuil de pauvreté, qui représentent 33% des foyers de la ville.

Si c’est toujours sur le maire que repose la critique, l’État est souvent absent. Toutefois, cela n’est pas toujours le cas, on l’a vu avec le dispositif des centres d’accueil d’orientation mis en place en 2015 : quand sont présents, l’État, dans sa responsabilité et ses prérogatives, la ville, qui peut mettre à disposition des infrastructures et que se joint la société civile, le ciment social, qui permet le lien entre la population accueillante et population accueillie, alors cela fonctionne.

Qu’est ce qui pourrait renforcer le débat aujourd’hui ?

Je trouve que l’on n’entend jamais dans le débat public parler des milliers de lieux qui ont ouverts en France, dans des petits villages ou des grandes villes, où ce triptyque État-Ville-Société civile a été mis en œuvre, se coordonne et fonctionne. De plus, la migration est illustrée dans les médias par des personnes sous des ponts à Paris, qui est un nœud d’arrivée et où les capacités d’accueil sont saturées.

Par ailleurs, on ne questionne pas l’inefficacité des politiques pour limiter l’immigration :  pourtant on le voit, les barbelés, les murs, les drones, les vedettes, les avions, cela ne met fin à rien. La France et l’Europe n’ont jamais mis autant de moyens pour lutter contre l’immigration, et pourtant et il n’y jamais a eu autant de tentatives de passage, que ce soit entre la France et la Grande-Bretagne, ou entre la Turquie et la Grèce, entre la Libye et l’Italie, et cetera.

Il y a aussi le choix des mots. De nombreux représentants politiques parlent par exemple du phénomène « d’appel d’air ».  Cette notion a été introduite dans le débat politique par Jean-Marie Le Pen dans les années 80. Sauf … que ça n’existe pas. Les recherches démontrent que la politique de soins, l’accueil du pays d’arrivé, n’ont pas d’impact sur le choix des destinations.

Vous êtes aujourd’hui eurodéputé, que fait l’Union européenne sur le sujet ?

Au niveau migratoire en Europe c’est le règlement de Dublin qui prévaut. Il fixe la règle suivante : le premier pays dans lequel des personnes arrivent est responsable de leur demande d’asile. De fait, une responsabilité énorme pèse sur des pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne, Malte.  

Dans les faits, les personnes qui arrivent sont souvent privées de liberté, dans des camps fermés comme à Samos en Grèce, alors qu’ils n’ont commis aucun acte criminel. J’ai vu des camps où l’accès à des sanitaires ou encore la distribution alimentaire n’étaient pas assurés. L’Europe n’est pas au rendez-vous.

La Commission européenne a proposé en septembre 2020 un Pacte « asile et migration » composé de cinq textes pour poser à plat la politique migratoire. Avec les Verts européens, nous avons proposé de mettre en place une relocalisation obligatoire dans les États membres, car il n’existe aujourd’hui aucune solidarité réelle. Mais la droite européenne est vent debout, enfermée dans un discours sécuritaire. Nous avons obtenu de pouvoir imposer cette répartition si le pays où arrivent ces migrants se déclare en crise, clause que pourrait activer l’Italie par exemple.

 La « forteresse Europe se concrétise », mais selon moi cela ne fait profite qu’à l’extrême droite, et nous éloigne du destin humaniste de l’Europe.

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