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07.02.23

Anne Genetet, Députée au service de l’influence de la France

        Anne Genetet est élue députée en juin 2017 (Renaissance) pour la 11e circonscription des Français établis hors de France qui recouvre 49 pays d'Asie, d'Océanie et d'Europe orientale, dont la Chine et la Russie. En 2019, elle a créé le « Club France Initiative », cercle de réflexion autour de la place des communautés de Français établis à l’étranger dans une stratégie d’influence globale.

Vous êtes députée des Français établis hors de France pour la 11 -ème circonscription, combien de nos compatriotes sont concernés ?

       Dans ma circonscription Asie, Océanie et Europe orientale qui se compose de 49 pays allant de la Russie à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Ukraine et l’Iran, nous dénombrons 152 000 Français inscrits au registre consulaire. Néanmoins, on peut estimer qu’ils sont plus nombreux car beaucoup de Français ne s’inscrivent ni au registre consulaire ni sur les listes électorales. S’il est donc très difficile de savoir précisément, nous estimons leur nombre à 200 000.

Vous travaillez sur une zone géographique très large, de l'Europe centrale à l'Asie, comprenant la Chine et la Russie, arrivez-vous à porter la voix d'enjeux si variés à l'Assemblée nationale ?


    La zone à couvrir est très vaste et concentre les principaux points chauds de la planète. Citons la confrontation entre l’Ukraine et la Russie, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, celui entre l’Inde et le Pakistan, la situation extrêmement dégradée en Iran, la guerre civile en Birmanie, la Corée du Nord, l’Afghanistan, sans oublier la tension dans le détroit de Taiwan et plus largement en mer de Chine. Je ne veux pas omettre non plus les îles du Pacifique qui sont les premières touchées par la crise écologique et font l’objet de toutes les attentions des puissances régionales.

    Je crois profondément que le monde a basculé vers l’Asie. Je vis moi-même depuis presque 20 ans à Singapour. Ici, tout va très vite. Si les Américains ont engagé la politique dite du « pivot asiatique » dès 2008 sous l’administration Obama, c’est parce que la rivalité USA – Chine est en train de redéfinir la géopolitique mondiale. Dans ce contexte, j’essaie – à mon échelle – de faire connaître ces enjeux et de faire des propositions pour que la France puisse tirer son épingle du jeu.

    Aujourd’hui, l’urgence, c’est la guerre en Ukraine. Je m’y suis rendue à plusieurs reprises avant le début du conflit car les enjeux étaient déjà très significatifs et j’y ai accompagné la Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, au mois de septembre. C’est sans doute le premier affrontement direct issue de la nouvelle donne mondiale avec d’un côté le bloc des démocraties libérales et de l’autre celui des régimes autoritaires. Malheureusement, cela ne sera sans doute pas le dernier. D’ailleurs, pour paraphraser le « think tanker » Thomas Gomart des « guerres invisibles » ont déjà démarré dans de nombreux secteurs.

    Je suis également membre de la quasi-totalité des groupes d’amitié des pays de ma circonscription et je préside le groupe d’amitié avec l’Australie. L’Australie est un pays stratégique pour la France et il faut retisser le lien après la trahison d’AUKUS. Le nouveau gouvernement australien souhaite ce rapprochement. C’est aussi dans ce pays qu’il y a la plus grande communauté française de la région avec plus de 20 000 de nos concitoyens. Ainsi, j’essaie de m’investir dans la diplomatie parlementaire pour améliorer les relations entre la France et les pays de ma circonscription.

    Bien sûr, je voyage beaucoup. Je suis aussi engagée au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN car si c’est une alliance militaire, c’est d’abord une alliance politique. Lors du précédent mandat, j’ai fait voter une résolution pour condamner le coup d’Etat en Birmanie. Enfin, j’essaie de m’impliquer pour faire émerger une véritable stratégie indopacifique pour la France. Je pense que c’est un sujet majeur pour l’avenir de notre pays. 93% de notre zone économique exclusive s’y trouve. Lorsque l’on sait le potentiel de la mer aussi bien sur le plan écologique qu’économique, c’est une ressource colossale pour la France. « Qui tient la mer, tient le monde », toutes les grandes puissances le savent et c’est pourquoi elles se tournent vers le Pacifique et l’Océan Indien qui est tout aussi important.

“Je crois que la France devrait s’appuyer bien davantage sur les Français qui vivent à l’étranger.”

A ce sujet, vous avez fondé le Club Initiative France, à quels besoins cela répondait-il et à quel moment ?

       J’ai fondé ce Club pour deux raisons. Parce que je me sens concernée par l’avenir de notre pays et parce que je m’interroge sur notre capacité à être influent dans 10, 20 ou 30 ans.

       Lorsqu’un jour de l’été 2015, en Mongolie, aux fins fonds d’une steppe totalement déserte, j’ai vu des étoiles briller dans le regard d’un éleveur de yacks à qui je venais de répondre que je venais de France, une immense fierté m’a envahie mais aussi un vaste questionnement : sur quels fondements et pour encore combien de temps ? Depuis lors, je n’aborde les relations internationales de notre pays qu’à l’aune de notre influence, celle que nous avons, celle que nous aurions, celle que nous pourrions avoir ou celle que nous n’avons plus.

       J’ai donc choisi avec quelques autres passionnés et résidents à l’étranger d’y consacrer une partie de mon temps. C’est tout l’objet du Club France Initiative (CFI) qui depuis un peu plus de 3 ans porte un regard analytique, parfois critique sur la présence française dans le monde et tente de verser au débat des propositions pour la renforcer.  Je crois que la France devrait s’appuyer bien davantage sur les Français qui vivent à l’étranger. On parle de mobiliser les diasporas étrangères en France, commençons par être capable de mobiliser nos concitoyens aux quatre coins du monde.

       Nous réalisons des débats tous les mois, nous interrogeons des experts, nous produisons des notes, nous rédigeons des articles. L’ambition est d’aboutir à créer une communauté de Français intéressés et impliqués Comme souvent, la France est à mon sens un peu en retard mais nous disposons d’atouts considérables. Je note que nous traitons ce sujet depuis 2019 et qu’il est inscrit noir sur blanc dans la Revue Nationale Stratégique 2022 et que le Ministère des Affaires étrangères a crée il y a quelques mois un service dédié. On avance ! Je me bats aussi contre les déclinologues. On peut être lucide tout en étant volontariste. La France pèse sur la scène mondiale et peut continuer à le faire. Simplement, il faut s’en donner les moyens. 

Quelle définition donnez-vous de l'influence et comment la mesurer ?

     Pour faire simple, on peut dire que l’influence est la projection de la puissance. C’est parce qu’on est puissant qu’on est capable ensuite de peser sur le monde, ou de changer ce que les autres veulent (ou pensent) … au nom de nos valeurs mais aussi de nos intérêts.  La puissance, c’est ce qui définit un État, lui permet parfois de s’imposer, souvent d’être respecté et toujours de défendre ses intérêts : historiquement, c’était d’abord sa capacité militaire, et cela reste très vrai. Aujourd’hui elle s’exprime aussi à travers notamment son économie, ses normes, ses brevets, sa population, dans et hors de ses frontières, et bien entendu, sa culture et sa langue.

     Pour mesurer la puissance nous nous basons aujourd’hui sur des indicateurs comme le PIB, le montant des dépenses militaires, l’indice de développement humain, le nombre de brevets, de locuteurs ou encore de films ou séries diffusés dans le monde, ou d’évènements mondiaux accueillis. Ainsi, pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que les deux pays aujourd’hui les plus influents sont les Etats-Unis et la Chine.

     Mais la puissance n’est pas tout, les pays scandinaves par exemple ont un soft power très important au regard de leur population. Toutefois, s’ils possèdent une certaine influence et une excellente réputation, sont-ils puissants ? Nous souhaitons travailler avec le CFI sur la mesure de l’influence avec des indicateurs nouveaux, qui permettraient à la France de se situer.Dans le monde actuel certains pays utilisent leur diaspora comme relai d’influence, notamment la Chine et l’Inde ; et des pays européens ou africains se saisissent de la question. Côté français, il n’existe pas de telle politique.

Sur ce dernier point, pouvons-nous toujours considérer la francophonie comme un des leviers d’influence ?

     La Francophonie est une chance pour la France. C’est un atout très important. Notre langue et notre culture restent très appréciées partout dans le monde. On apprend et on fait des affaires en français. Notre diplomatie culturelle est le pilier de notre influence avec un réseau très développé d’écoles et d’alliances françaises partout à travers le monde. Il faut bien sûr consolider cela et je crois que malgré la prédominance de l’anglais, il nous faut davantage capitaliser sur la francophonie pour offrir une autre vision du monde, une alternative à celle proposée par les anglo-saxons. Cela semble commencé à être pris en compte dans les milieux d’affaires ou au sein des Fédérations sportives internationales.

     Néanmoins, il faut relativiser. On sait que grâce à la forte croissance démographique en Afrique, le nombre de francophones va fortement augmenter dans les années à venir. Mais il faut en faire quelque chose. Ce qui se passe en ce moment au Mali ou au Burkina Faso doit fortement nous interroger. Nous sommes déstabilisés en Afrique malgré une politique depuis 2017 très volontariste. La France a pris beaucoup d’initiatives, nous renforçons nos politiques de co-développement mais nous ne sommes pas toujours compris. Nos compétiteurs et concurrents sont très efficaces, s’appuient sur la manipulation voir parfois des logiques de prédation. Il faut aussi que les Français parlent beaucoup mieux les langues étrangères à commencer par l’anglais et qu’ils puissent s’exprimer avec aisance et comprendre tous les accents. Dans ce contexte, la francophonie est un atout mais ce n’est qu’un pan d’une stratégie globale d’influence qu’il nous faut déployer.

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