A seulement 25 ans, Chloé Jullien et Julia Da Prato ont su faire de leur passion une réalité entrepreneuriale. Avec leur entreprise Epât’Moi, elles ont créé une pâte à tartiner unique, sans cacao, mais au goût chocolaté. Leur histoire a commencé au sein de l’Isara, une école d’ingénieurs en agroalimentaire dont elles sont toutes deux diplômées, où elles se sont rencontrées et ont commencé à bâtir les fondations d’une aventure professionnelle hors du commun. Du projet étudiant débuté à six, à l’entreprise lancée à deux, les deux ingénieures engagées développent désormais leur marque à plein temps et se frottent à l’exercice entrepreneurial exigeant.
La genèse d’Epât’Moi : un constat simple
L’idée d’Epât’Moi a germé dans le cadre du module d’entrepreneuriat de leur troisième année d’études. Le projet est né d’un constat simple mais puissant : bien que de nombreuses alternatives aient émergé pour la viande ou les produits laitiers, il n’existait pas d’alternative locale et durable pour le cacao, pourtant l’un des produits les plus impactants pour l’environnement. Et l’avenir leur aura donné raison car en 2023, les récoltes mondiales de la fève ont, en outre, été particulièrement faibles, faisant grimper les prix du cacao et rendant sa production encore plus complexe.
« Au cours de nos recherches pour sonder les besoins du marché, nous avons rapidement pris conscience de l’énorme impact environnemental de la production de cacao. Un secteur dont les enjeux sont encore trop souvent ignorés, malgré l’attrait de ce produit », explique Chloé. Après avoir exploré différentes pistes de solution, les six étudiantes se sont tournées vers la caroube, un fruit méditerranéen. « C’est une alternative intéressante au cacao et respectueuse de l’environnement », raconte Julia.
Leur projet a pris forme dans le cadre du concours national Ecotrophélia, dédié à l’innovation durable dans le secteur agroalimentaire. Elles ont remporté la troisième place, ce qui les a confortées dans leur idée : créer une alternative à la pâte à tartiner classique, tout en conservant un goût aussi riche que celui du chocolat.
« Nous avons rapidement pris conscience de l'énorme impact environnemental de la production de cacao. Un secteur dont les enjeux sont encore trop souvent ignorés, malgré l'attrait de ce produit »
Chloé jullien, co-fondatrice d'epât'moi
De la recette à l’industrialisation
Après leur victoire au concours Ecotrophélia, Chloé et Julia ont décidé de poursuivre l’aventure entrepreneuriale. Elles sont alors passées de six à deux membres dans l’équipe, leurs camarades choisissant de suivre des carrières de salariées. « Ça n’a pas été un choix difficile, c’est un projet avec un vrai impact, et l’opportunité pour nous d’appliquer nos compétences d’ingénieur dans un domaine qui nous passionne », ajoute Chloé.
Toutefois, le passage de l’idée à la réalité a nécessité de lever quelques freins au démarrage, à commencer par une industrialisation du produit. Après une série de tests de production, les jeunes femmes ont dû s’attaquer à des défis techniques majeurs : passer d’une production de 30 kilos à celle d’une demi-tonne, adapter leur recette pour la rendre à la fois plus locale et plus durable, et surtout, tout en préservant le goût.
« Le plus grand défi a été de trouver un partenaire industriel capable de produire à grande échelle sans compromettre la qualité de notre produit », précise Julia. La recette de la pâte à tartiner Epât’Moi repose sur une sélection rigoureuse d’ingrédients : « Nous avons choisi la caroube, cultivée en Sicile, car elle reproduit partiellement le goût chocolaté, tout en étant naturellement sucrée », indique Chloé. À cela s’ajoutent des farines torréfiées françaises et une démarche résolument sans additifs ni conservateurs. « Nous avons refusé de tricher sur le goût avec des arômes artificiels. Nous voulions une alternative gourmande, mais aussi saine », complète Julia. Le produit est deux fois moins sucré que les pâtes à tartiner classiques, grâce au sucre naturel de la caroube, et ses ingrédients sont issus de filières durables, puisque le caroubier est un arbre capable de résister au changement climatique.
« Nous avons refusé de tricher sur le goût avec des arômes artificiels. Nous voulions une alternative gourmande, mais aussi saine »
JULIA DA PRATO, co-fondatrice d'epât'moi
Structurer une entreprise : un chemin semé d’embûches
Pragmatiques et soucieuses de s’entourer des meilleurs talents pour donner vie à leur projet, les jeunes entrepreneuses se sont formées sur le tas, notamment au démarchage commercial, un vrai apprentissage au contact du terrain : « Il y a eu beaucoup de portes fermées, mais petit à petit, on a appris à mieux structurer notre discours et à convaincre », confie Julia.
Parallèlement, elles ont rejoint le FoodShaker, un incubateur situé à proximité de l’Isara, offrant un accès aux laboratoires et un accompagnement dans le secteur agroalimentaire. Chloé raconte : « C’était essentiel d’avoir accès aux outils techniques et aux analyses pour perfectionner notre recette ». Elles ont également su trouver un soutien précieux dans le programme Live for Good, une association d’entrepreneurs à impact de moins de 30 ans. « Ce programme nous aide à affiner notre stratégie, en nous guidant sur des aspects où l’on est moins à l’aise, comme la gestion de la marque ou la commercialisation« , explique Julia. Les mentors et coachs du programme leur apportent des conseils adaptés à leurs besoins, tout en les laissant prendre leurs propres décisions. « Ils nous accompagnent sans jamais faire les choses à notre place« , précise Julia, « et ce type de conseil est vraiment important, surtout lorsque l’on se lance dans un secteur aussi compétitif ».
Ce soutien est d’autant plus précieux qu’être femmes entrepreneuses dans un secteur majoritairement masculin comme l’agroalimentaire n’est pas toujours facile. « Parfois, on nous prend pour des étudiantes, ou on doute de notre crédibilité« , avouent-elles. « Il faut vraiment s’affirmer et travailler son pitch pour être prises au sérieux. » Conseil, ambition et persévérance font donc la différence.
Les défis du financement et des marges
Aujourd’hui, l’un des grands défis d’Epât’Moi réside dans la gestion des marges. L’agroalimentaire est un secteur où les coûts de production sont souvent élevés, et les marges, bien qu’importantes pour la pérennité de l’entreprise, sont souvent faibles. « Le prix des matières premières n’est pas négligeable. Pourtant, il difficile de vendre un produit trop cher« , reconnaît Julia. En outre, même avec un produit innovant, il n’est pas toujours facile de convaincre les distributeurs et les partenaires industriels de rejoindre l’aventure.
Pour contourner ces obstacles, Chloé et Julia ont eu recours à plusieurs sources de financement, dont des subventions régionales, mais aussi des concours d’entrepreneurs. « Nous avons participé à trois concours cette année, et nous avons eu la chance de les remporter », raconte Chloé, un sourire dans la voix. « Cela nous a permis de gagner en crédibilité et d’obtenir des financements pour aller plus loin. » Ces victoires témoignent de l’intérêt grandissant pour leur solution alternative au cacao.
concours remportés
en 2024
Un futur prometteur, mais des choix décisifs à faire
La recette d’Epât’Moi fait déjà lorgner les industriels qui, face à la crise du cacao, sont en quête de solutions viables. La jeune marque a récemment suscité l’intérêt de quelques grandes marques qui voient dans cette recette un moyen de diversifier leurs produits tout en répondant à une problématique mondiale. Mais pour assurer la pérennité de leur modèle économique et conserver leur indépendance, les deux entrepreneuses savent qu’elles devront se diversifier et explorer d’autres voies. « À court terme, notre objectif est de proposer de nouveaux formats et peut-être de nouveaux goûts pour notre pâte à tartiner », confient-elles. « Mais nous ne fermons pas la porte à des collaborations avec des entreprises qui souhaiteraient intégrer notre produit dans leurs gammes.”
L’avenir d’Epât’Moi semble donc tourné vers l’expansion. « Nous avons lancé notre site de e-commerce cet été, mais pour l’instant, c’est un test« , explique Chloé. « Nous voulons nous assurer que notre produit peut être envoyé de manière sécurisée et que la demande existe avant d’aller plus loin. » À l’heure actuelle, leur pâte à tartiner est distribuée dans une dizaine de points de vente entre Lyon et la Savoie. Et bientôt, elles participeront au SIHRA, un salon international de la gastronomie à Lyon, où elles espèrent rencontrer de nouveaux partenaires industriels et des distributeurs. Un événement crucial pour leur développement, mais aussi un moyen de renforcer leur notoriété… et de goûter cette fameuse pâte à tartiner pour les intéressés !
Source iconographique : Edouard Marano