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Justine Lipuma
07.03.23

Justine Lipuma, construire l’agriculture de demain avec Mycophyto

       Alors que le monde agricole fait face à des défis structurels de plus en plus complexes comme le dérèglement climatique, les sujets de sécurité alimentaire ou encore le coût des matières premières, Justine Lipuma, CEO de Mycophyto et vice-présidente de la Ferme Digitale, incarne l’espoir de solutions d’avenir qui, en s’inspirant de la nature, lui redonnent toute sa puissance.

En classe de quatrième, alors que la plupart de ses camarades ne savaient pas encore à quel futur ils aspiraient, elle avait déjà trouvé sa voie : ingénieur agronome. Et portait une ambition : transformer l’agriculture. Elle en avait laissé sa conseillère d’orientation pantoise. Justine Lipuma se remémore : « J’ai retrouvé des rapports où, adolescente, je parlais déjà du vivant. Sans même savoir ce que cela signifiait, je savais que c’était ce que je voulais faire ». La route est tracée. Devenue doctorante en microbiologie, elle découvre lors de ses travaux de thèse les apports bénéfiques de l’association mycorhizienne. Les prémices d’une révolution pour le monde agricole : la capacité de s’affranchir des engrais chimiques en s’inspirant de la nature.

La science au service de la nature

Celle qui a toujours voulu créer des ponts entre la science et la société comprend que pour que ses connaissances puissent servir la société, il faut qu’elles sortent du laboratoire. Pour qu’elles se transforment en une solution innovante, Justine Lipuma doit créer son entreprise. Une gageure pour une doctorante. Grâce au soutien de sa cofondatrice, Christine Poncet, ingénieure agronome, elle franchit le pas de l’entrepreneuriat. Les deux femmes ont toutes deux travaillé sur les champignons mycorhiziens et récolté des résultats inédits. « Avec nos deux regards, nous avons convergé vers ce concept biologique, le cœur de Mycophyto » explique Justine Lipuma. Mycophyto : myco pour champignon, phyto pour les plantes. Les champignons au service des plantes. Ceux-ci agissent comme des engrais naturels, qui vont permettre à la plante de mieux se nourrir, mais également mieux se défendre, en s’adaptant aux problématiques de sécheresse et ainsi se développer dans de meilleures conditions. Le champ des possibles est vaste, puisque ces champignons peuvent s’appliquer sur plus de 85 % des plantes terrestres.

Mycophyto

Une innovation qui résonne avec les nombreux défis que rencontrent nos sociétés aujourd’hui. Comment réussir à produire plus, mieux et avec moins ? Avec des ressources qui s’épuisent, une eau qui se fait de plus en plus rare et une démographie mondiale chaque jour plus importante ? Comment renforcer notre souveraineté alimentaire lorsque nos engrais sont des engrais azotés ou phosphatés qui nécessitent du gaz acheté aux pays de l’Est ? « Tout l’enjeu de Mycophyto, c’est de réussir à réconcilier les enjeux de productivité et d’impacts environnementaux pour qu’un agriculteur n’ait plus à résoudre ce dilemme cornélien », résume Justine Lipuma.

La première biobanque européenne de champignons indigènes

L’entreprise, créée en 2017, a initié différentes preuves de concept sur les filières prioritaires que sont les plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Les résultats sont là. Située à Grasse, la capitale mondiale de la parfumerie, Mycophyto a travaillé notamment sur la rose, fleur emblématique de cette filière. L’expérimentation menée depuis quatre ans sur une parcelle dédiée a déjà démontré des augmentations de rendement sur les fleurs. Très nettes par rapport aux cultures traditionnelles. En moyenne entre 20 et 30 % supplémentaires de fleurs en plus par pieds. Autre expérimentation : sur des parcelles de vigne, au château Sainte-Roseline, où des premiers résultats ont pu être observés cet été. Plus de 20 % d’eau a été conservé à proximité des racines de ces plantes mychorizées par rapport aux plantes témoins, ce qui a entraîné 45 % de rendement supplémentaire dans une période de pic de sécheresse sur le château.

Mycophyto maximise son action en apportant de la technologie à la nature pour créer de nouveaux systèmes de production. La deeptech, en partenariat avec l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), a créé une biobanque qui, en s’appuyant sur l’IA, définit le cocktail de champignons idéal en fonction d’un type de sol, de plante et de climat pour optimiser chaque association. Sept assemblages sont aujourd’hui validés, avec des efficacités statistiquement mesurables, et prêts à être déployés sur différentes parcelles.

Mycophyto

2023, l’année du changement d’échelle

Pour réussir à rendre accessible cette solution au plus grand nombre, Justine Lipuma se rapproche en premier lieu des industriels transformateurs, une cible privilégiée pour ses possibilités d’investissement et de gestion du risque, plus aisées que celle d’un agriculteur. « Nous sommes une deeptech, les cycles d’investissement sont très longs, mais du fait de mon parcours et venant de la recherche, je ne souhaitais pas patienter dix ans pour accéder au marché. J’ai fait le choix de vendre tout de suite ce que nous étions capables d’offrir, pour développer et co-construire avec nos clients ce dont ils avaient besoin », explique l’entrepreneure.

La deeptech a également levé un peu plus de 4 millions d’euros en début d’année pour réussir son changement d’échelle : augmenter sa capacité de production tout en réduisant ses coûts. Autre source de revenu importante : Mycophyto a obtenu près de 3 millions d’euros dans le cadre de programmes de R&D. Justine Lipuma a su structurer autour de son entreprise tout un écosystème, à la fois universitaire et scientifique avec des partenariats clés auprès de l’INRAE, l’Inria, les Universités Côte d’Azur et de Turin mais aussi avec le monde entrepreneurial auprès d’HECTAR et la Ferme Digitale, dont elle est vice-présidente. « Je fais le lien entre les entreprises adhérentes et le monde de la recherche pour faciliter le dialogue », souligne celle qui a été, entre autres, lauréate du concours national d’innovation i-nov et de l’aide au développement Deeptech porté par Bpifrance.

Des distinctions qui viennent récompenser une audacieuse qui pense qu’il faut viser la lune pour atterrir dans les étoiles. Une optimiste cependant très pragmatique face aux défis qui nous attendent. « Les solutions sont là. Ce qu’il faut maintenant, c’est qu’on arrive à faire émerger des entreprises qui développent des produits accessibles et disponibles. L’innovation a un prix, un coût. Il faut qu’on arrive à investir massivement dans ces innovations pour qu’elles puissent faire leur transformation et devenir des produits accessibles », estime Justine Lipuma.

La doctorante devenue entrepreneure aspire à façonner le futur tel qu’elle l’imagine. À chacun de faire sa part du travail. Car Mycophyto est un sujet qui va bien au-delà de Mycophyto, comme elle l’explique : « C’est de façon combinée et collective qu’on arrivera à répondre à ces enjeux qui sont énormes. »

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