Passionnée de musique depuis l’enfance, Gisèle Magnan a été pendant de longues années pianiste concertiste. “Je suis entrée au Conservatoire de Paris à 13 ans. C’est un métier que l’on commence tellement jeune, il n’était pas question pour moi d’imaginer faire autre chose dans ma vie”, raconte-t-elle. Nourrie par le contact très fort qu’elle entretient avec le public, elle remarque toutefois que celui-ci est majoritairement composé d’initiés à la musique classique, “et donc de personnes capables de payer très cher pour entendre de grands répertoires”.
Démocratiser ce genre musical qui reste peu accessible
Ce constat s’oppose alors aux propres aspirations de la musicienne, qui souhaite toucher un public plus large et jouer dans des lieux inhabituels et modestes, comme les salles des fêtes, les prisons ou encore les hôpitaux, s’éloignant ainsi des grandes prestations qu’elle a l’habitude d’honorer.
À ce souci de démocratisation de la musique classique s’ajoute un sentiment que la pianiste n’avait pas tout à fait anticipé : “dans “soliste”, il faut entendre “solitude”…et cela m’a beaucoup pesé”, explique Gisèle Magnan. Peu à peu, l’idée de créer une structure qui relierait les musiques dites “savantes” et le grand public émerge.
C’est en 2002 que Gisèle Magnan saute le pas et fonde l’association Les Concerts de Poche, qui a pour projet de toucher un public intergénérationnel en l’associant à des ateliers et des concerts de musique classique, jazz ou lyrique. « Je sentais que cette musique, que je sais tellement vibrante, communicante et moderne (même si elle a été écrite il y a longtemps !), apporterait beaucoup de sensations nouvelles et motivantes à des gens qui ne la connaissaient pas. Parce que sans utiliser de paroles, elle parle un langage connu de chacun, celui de la vie et des émotions qui réveillent », souligne la pianiste.
La transmission comme raison d’être
Si la fondatrice envisageait initialement de se consacrer à l’association en dehors de ses activités de pianiste, ce développement à la marge lui est rapidement apparu comme insuffisant et l’envie grandissante de construire un lien durable entre la musique et la citoyenneté a très vite pris le dessus. “J’ai arrêté d’être pianiste, j’ai décidé de monter une équipe… et de me rendre utile”, explique Gisèle Magnan.
L’équipe des Concerts de Poche est aujourd’hui constituée de 48 salariés engagés, qui se déploient dans toute la France. Les territoires qui font appel au concept financent une partie des événements. L’association s’appuie ensuite sur des acteurs publics et privés, séduits par cette nouvelle manière de tisser du lien et de démocratiser la musique auprès du grand public.
Ainsi, la mission de l’association est à la fois artistique, sociale et territoriale et s’inscrit dans une optique de transmission. Cette triple mission se concrétise, par exemple, par la création de chorales scolaires qui perdurent au-delà du passage de l’association. Les Concerts de poche ont déjà accompagné la création de 100 chorales scolaires, dans la France entière, en formant les enseignants au rôle de chef de chœur.
L’émotion comme facteur d’adhésion
Partout où elle passe, l’association de Gisèle Magnan rencontre un enthousiasme fort. Si l’initiative et les activités proposées peuvent d’abord surprendre, les ateliers parviennent très vite à faire adhérer le public par l’émotion. “Quand on propose de chanter en allemand des Lieder de Schubert ou de reprendre des airs d’opéra, les gens sont effectivement assez étonnés. Mais très vite, ils se rendent compte qu’ils sont en train de découvrir quelque chose, et ce quelque chose, c’est eux-mêmes. A partir de ce moment-là, c’est gagné !”, se réjouit la musicienne.
Au fur et à mesure, chaque participant aux ateliers développe une plus grande confiance en soi – et une plus grande confiance dans les autres, puisque de l’aveu de la pianiste, “on a besoin des autres pour réussir”. Ces projets collectifs les amènent à s’ouvrir à autrui et à tisser des liens intergénérationnels.
Preuve que l’initiative révèle des vocations : le nombre d’inscriptions dans des écoles de musique augmente sensiblement après le passage de l’association : “on impulse des envies de continuer, de faire, d’oser après la fin de nos projets.”
Se réinventer en permanence
18 ans après la création des Concerts de poche, l’énergie sans borne de sa fondatrice est – encore et toujours – ce qui trace la voie du succès de l’association. Elle qui tente chaque jour de transmettre cette vitalité à ses équipes rappelle cependant que les défis sont quotidiens. Les territoires touchés, estimés à environ 360 communes par an, changent chaque année : les problématiques évoluent.
À l’horizon 2030, Gisèle Magnan espère générer toujours plus d’impact du côté des bénéficiaires et des artistes en s’inscrivant dans une démarche locale et pérenne. Elle souhaite créer davantage d’implantations régionales (elles sont au nombre de 5 à l’heure actuelle) ainsi que des équipes complètes dédiées à ce développement. Si la pianiste concertiste pensait exercer ce métier tout au long de sa vie, elle est finalement allée au-delà de sa passion en s’inscrivant dans une démarche de transmission à grande échelle. Bravo, maestro !
Crédit photo : ©Didier Bonnel