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16.10.24

La France à 20h : l’heure de la recomposition ? 

       A l’occasion de la sortie de « La France à 20h ou l’heure d’être ensemble » aux éditions de l’Aube, ouvrage du collectif « Les Choses de la Vie », Thierry Keller, journaliste et essayiste membre, nous livre son analyse sur l’état de la société française. Avec un regard optimisme et parfois décalé, il aborde les transitions sociales et déconstruit les discours déclinistes pervasifs.

Le titre de votre ouvrage La France à 20h ou l’heure d’être ensemble semble bien optimiste, au regard des fractures souvent décrites dans les médias. Ce projet n’est-il pas à contre-courant  

Thierry Keller : Nous avons fait le choix d’une méthode d’observation attentive plutôt que de céder à la tentation d’une analyse préconçue. Au lieu de partir d’un constat alarmiste pour chercher à justifier un point de vue, nous avons préféré regarder ce qui se passait autour de nous. 

Dans un contexte où l’on parle fréquemment de crise, de déclin et de mort du collectif, il est facile de céder à une forme de paresse intellectuelle. À droite comme à gauche, les discours se rejoignent souvent sur cette idée d’un pays en péril, en proie à la guerre civile. Les réseaux sociaux et l’ambiance générale notamment exacerbent cette idée de décomposition.  

Pourtant, en scrutant le quotidien des Français, une autre réalité plus nuancée se dessine. Il existe une solidarité plus diffuse que celle que l’on imagine souvent et les tensions liées à la religion, la politique ou d’autres motifs de rupture semblent se dissiper. Des témoignages de solidarité, comme l’union du pays autour des événements récents, le Front Républicain ou encore les Jeux Olympiques, illustrent une réalité bien plus complexe que celle réduite à la simple dichotomie entre crise et utopie. 

Notre collectif, « Les Choses de la Vie », est né de cette envie de faire émerger une voix différente, unissant nos expériences variées en tant que journalistes, consultants et essayistes pour offrir un espace où l’entraide, le partage et la fusion entre art, politique et plaisirs du quotidien se rencontrent. Cela nous permet d’aborder des questions humaines sans les réduire à des analyses froides ou à une production de concepts à outrance.  

Notre démarche n’est pas une simple méthode Coué. C’est une invitation à dépasser les fractures trop souvent mises en avant. Nous croyons fermement qu’il y a matière à redécouvrir un sens commun, à faire émerger des récits de solidarité et d’espoir, là où l’on perçoit plus fréquemment des constats alarmants. 

«  Nous croyons fermement qu’il y a matière à redécouvrir un sens commun, à faire émerger des récits de solidarité et d’espoir »

Est-ce finalement une réponse à l’analyse de Jérôme Fourquet sur « l’archipellisation » de la société française ?   

TK : Fourquet a indéniablement marqué les esprits avec son concept d’archipellisation. Son analyse est fine et son influence est profonde, mais il a souvent été surinterprété. Nous n’avons pas cherché à adopter une posture résolument « anti-Fourquet », mais nous voulions nuancer cette vision. Notre constat est que les Français sont bien plus connectés entre eux que ce que l’on croit. Entre une France fragmentée, voire communautariste, et une France de l’ORTF, rassemblée religieusement devant son poste, il y a un monde, des gens qui cherchent à être ensemble, qui partagent encore des rituels communs. Ce que nous avons voulu montrer, c’est que, malgré l’individualisation croissante, une vraie dynamique collective persiste loin des discours catastrophiques que l’on nous tient souvent. 

Ce qui nous a également frappé dans nos constats, c’est la résilience et la pluralité des identités. Les Français ne se résument pas à des stéréotypes figés. Ce ne sont pas uniquement les jeunes scotchés à leurs écrans dans leur chambre d’un côté et les vieux devant le JT. Dans son chapitre dédié aux émissions de télévision regardées autour de 20h, Tristan Guerra (politiste et responsable de la recherche du think tank Destin Commun) montre que les téléspectateurs zappent et oscillent entre les programmes. Les « libéraux-optimistes du 19.45 de M6 » sont aussi les « militants désabusés de la team Quotidien » tout en étant les « stabilisateurs de France TV » ou encore les « laissés-pour-compte qui regardent TPMP ». En somme, les identités sont multiples et les frontières sont bien plus fluides entre les catégories. 

Vous articulez le livre autour de l’heure symbolique de 20h. Qu’est-ce qui fait de ce moment un point de convergence pour les Français ? 

TK : 20h, c’est une heure sacrée en France. C’est l’heure du journal télévisé, celle de la fermeture des bureaux de vote et des résultats des élections, celle des applaudissements pendant la crise du Covid. Beaucoup d’événements importants se jouent à cette heure-là et nous avons voulu en faire un point de départ pour explorer ce qu’elle représente encore aujourd’hui. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, 20h reste un moment de rassemblement. De nombreuses études montrent que les Français ne vivent pas dans des temporalités si différentes.  

Un point qui m’a particulièrement marqué et reflète une forme d’unité nationale : l’heure du dîner, ou du retour à la maison, est presque la même pour tout le monde, que l’on vive en province ou à Paris. Et, nous avons aussi été surpris par la persistance de certains rituels collectifs, comme le fait de regarder le JT ou de se réunir autour de 20h après le diner. Il y a une vraie envie d’être ensemble. Les Français continuent de partager des moments communs, même s’ils les consomment différemment. Notre intuition de départ n’était donc pas complètement fantaisiste. 

L’ouvrage illustre tout de même un désengagement général des Français vis-à-vis du travail, de la politique, et même de leur vie personnelle, notamment dans leur sexualité. Comment expliquez-vous ce phénomène de « quiet quitting » généralisé ? 

TK : Ce renoncement, ce retrait silencieux, est une sorte de troisième voie entre la promesse d’un bonheur pour tous et la peur de la guerre civile. Ce qui menace le plus la démocratie aujourd’hui, ce n’est pas tant la colère que l’indifférence. Les gens ne se révoltent pas, mais ils se désengagent progressivement, que ce soit dans leur travail ou dans leur vie civique. Cela n’est pas propre à la France, c’est une tendance que l’on retrouve dans toutes les démocraties qui ont connu une longue période de paix. Ce renoncement progressif doit être un vrai sujet de préoccupation, même s’il n’a pas encore de solution claire. 

Néanmoins, en opposition à ce désengagement, de nombreuses transitions sont à l’œuvre : environnementale, professionnelle, alimentaire, etc. Si celles-ci sont souvent impulsées par une minorité ayant un capital culturel et économique élevé, elles finissent toujours par se diffuser plus largement dans la société. Ces désirs de changement et de mouvement doivent être interprétés positivement. Prenez l’exemple du travail : nous observons un retournement du rapport de force entre employeurs et salariés. Cela reflète une aspiration plus générale de la société à l’autonomie, à la reconnaissance. Il ne faut pas obtempérer à tout, mais savoir accueillir ces prémices de recompositions.  

Quel message souhaitez-vous que l’on retienne avec ce livre ? 

TK : Ce livre est un appel à voir la société telle qu’elle est vraiment, sans filtre, en dépassant nos préjugés. Nous voulons inciter les lecteurs à observer, à prendre du recul, à voir les dynamiques plutôt que de se focaliser sur les discours alarmistes. La France va plutôt bien, même si elle a ses défis. Il y a un désir d’apaisement, une quête de vivre ensemble qui est souvent sous-estimée. Au lieu de regarder uniquement ce qui ne va pas, concentrons-nous aussi sur les trains qui arrivent à l’heure, sur les solidarités qui se renforcent. 

«  Ce livre est un appel à voir la société telle qu’elle est vraiment, sans filtre, en dépassant nos préjugés. »

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