Après la victoire d’Emmanuel Macron, comment appréhendez-vous le paysage politique actuel ? Le nouveau Président peut-il insuffler le leadership nécessaire à la transformation du pays ?
L’angle d’analyse du leadership est un angle intéressant et c’est d’ailleurs l’objet de mon dernier ouvrage « Choisir un chef ». Si nous devions tirer des premiers enseignements de cette élection présidentielle, il apparaît, peut-être paradoxalement, que la France ne manque pas de leadership.
Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ou Marine le Pen, pour leurs électeurs ont montré des qualités assez fortes de leadership : une capacité à entraîner leurs électeurs dans une vision partagée, une perspective. En ce sens, il existe en France un véritable leadership politique contrairement à l’Union Européenne, marquée par un réel déficit de leadership. En revanche, il reste encore un enjeu majeur : le partage de ce leadership.
En effet, alors que la société est divisée, comment réussir à faire en sorte que ce leadership ne soit pas une variante de l’exercice solitaire du pouvoir ?
Nos institutions, c’était le souhait du Général de Gaulle, ne chargent le président que « de l’essentiel » mais au fil du temps tout remonte à l’Elysée et ainsi le président est omniprésent et souvent surexposé. Je suis convaincu que cette organisation institutionnelle à besoin d’un nouvel élan. Il faut redonner du sens politique à nos échanges et à nos décisions. Quand la violence avance, c’est que la politique recule car cette dernière a justement été inventée pour lutter contre la violence.
Les manquements sont pourtant identifiés : notre Parlement est assez inexistant, le débat social a quasiment disparu, la décentralisation est très faible et nous manquons de lieux de délibération. La solitude du pouvoir, autrefois nécessaire, est désormais une impasse et Emmanuel Macron a l’opportunité de changer les choses sur ce point. Il doit la saisir et réussir car, je le dis avec gravité, nous sommes au bord de l’échec avec l’extrémisme aux portes du pouvoir.
Redistribuer le pouvoir dans le pays, rééquilibrer les rapports de force et multiplier les lieux de délibération sont trois priorités qui s’articulent pour moi autour de trois axes principaux :
– L’axe du Parlement, en redonnant à cette assemblée une légitimité et une nouvelle dynamique. Pourquoi ne pas découpler l’élection présidentielle de l’élection législative par exemple ? Un mandat de 4 ans pour les députés permettrait d’organiser des élections législatives au cours du quinquennat. Il pourrait aussi être utile de revenir sur le cumul des mandats afin d’éviter l’affrontement entre les responsables politiques nationaux et locaux.
– L’axe du social. Il faut réinventer sans doute des forces sociales rénovées. Le débat social est indispensable dans le pays et les forces sociales doivent pouvoir exister efficacement afin d’encadrer les opinions et favoriser les débats.
– L’axe de la décentralisation, pour lequel il faut aller bien plus loin et envisager, enfin, une rupture avec le jacobinisme historique français.
Cette réforme du partage du leadership est donc la mère de toutes les réformes et celle à laquelle notre Président, le plus jeune et le plus expérimenté, doit s’atteler dans les premiers mois de son mandat.
Sur l’axe social justement, comment renouer le dialogue avec les organisations professionnelles au-delà de la simple consultation ?
Mettre “tout le monde” autour de la table ne suffit pas ou plus car la consultation n’est pas suffisante pour faire vivre une démocratie sociale. Prenez le corps humain par exemple, pour éviter les fractures les articulations sont indispensables. Trop longtemps, nous avons sous-estimé les corps intermédiaires, articulations du dialogue social.
Alors bien sûr les conventions citoyennes sont des choses qui peuvent s’avérer utiles. Mais là encore, il faut manier ces mécanismes avec habileté.
Les conventions citoyennes ne sont pas les bons forums pour aborder des sujets d’expertise mais restent légitimes pour exprimer des colères, des émotions, des propositions. Ces moments de catharsis collective sont importants.
En ce sens, je pense qu’il pourrait être judicieux de réunir les citoyens et leurs représentants au sein de ces conventions citoyennes, ainsi des séances de questions au gouvernement pourraient être par exemple organisées avec des Français tirés au sort.
« Quand la violence avance, c’est que la politique recule. »
Quand vous évoquez l’axe du parlement, vous n’abordez pas la question de la proportionnelle, est-ce volontaire ?
Je suis réservé sur la proportionnelle. Je n’y suis pas hostile mais c’est un changement structurant qui nécessite certaines précautions. La proportionnelle doit s’adapter à une vision politique. Si la vision se rapproche d’un système politique de coalitions, sur le modèle allemand, cela peut fonctionner avec des partis de centre droit et de centre gauche qui sont les facteurs limitatifs des extrêmes. Au contraire, si la proportionnelle s’inscrit dans un système de fusion des partis avec un grand parti central et des extrêmes, elle devient beaucoup plus dangereuse et s’apparente davantage à un magma politique en constante ébullition.
La mise en place d’un système de coalition n’est pas chose aisée car c’est l’art du compromis pour bâtir un programme de gouvernement. C’est pourtant une mesure primordiale si nous voulons, collectivement, redonner du sens à la politique. La négociation programmatique permet d’aller au-delà d’une juxtaposition de mesures en affirmant une pensée politique, une colonne vertébrale identifiée.
Dans ce cadre, il est crucial que le Premier ministre ait la charge de l’accord gouvernemental. Bien évidemment, le Président de la République, élu au suffrage universel, procède aux nécessaires arbitrages.
La future réforme constitutionnelle, si elle doit avoir lieu, doit donc permettre l’émergence d’un parlement véritable force d’équilibre quant au travail gouvernemental.
« La future réforme constitutionnelle, si elle doit avoir lieu, doit donc permettre l’émergence d’un parlement véritable force d’équilibre quant au travail gouvernemental »