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24.05.23

Général Pierre de Villiers : « La jeunesse mérite qu’on s’adresse à elle »

       Homme d’engagement, optimiste convaincu, le général Pierre de Villiers a toujours eu à cœur de transmettre. Dans son dernier livre, « Paroles d’honneur », il s’adresse à la jeunesse par une succession de lettres. On y retrouve la plume élégante et ciselée de ses précédents ouvrages, un discours simple et pragmatique, porteur d’espérance, qui invite à vaincre les maux de notre société en rétablissant une autorité fondée sur la confiance et le courage. Un chemin pour réapprendre à aimer la France. Entretien.

Parmi les 45 lettres adressées à la jeunesse, l’une d’entre elles concerne l’autorité. Quelle est votre conception de cette notion qui cristallise bien des critiques ?

La jeunesse mérite qu’on s’adresse à elle et cherche en cela un point d’ancrage ainsi qu’une espérance. L’autorité, issue du latin auctoritas et augere, signifie en premier lieu « augmenter » et « aller vers ». Une signification éloignée de notre conception moderne de l’autorité qui tend davantage vers une forme d’autoritarisme fonctionnant sur le principe du « je décide et il exécute ». Cette vision de l’autorité s’oppose ainsi au besoin fondamental qu’ont les jeunes d’être guidés.

L’institution militaire, au sein de laquelle vous avez passé 43 années, peut-elle être un modèle inspirant pour notre vision du collectif ?

L’armée est peut-être la dernière institution qui inspire confiance en appliquant notamment quatre étapes essentielles qui devraient présider à l’exercice de l’autorité : les “4 c”.

Il s’agit de concevoir une vision, convaincre pour être suivi, conduire l’action en gérant les aléas et contrôler les conséquences de celles-ci en effectuant un retour d’expérience.  Ces leviers s’articulent évidemment autour de la confiance, principe clé et pierre angulaire de l’autorité. Les doutes, légitimes, ne doivent pas être le terreau funeste d’un défaitisme et d’une aigreur. La jeunesse n’a plus confiance en elle, ni en les autres : un équilibre entre les deux doit être trouvé.

Les réformes politiques, comme récemment celle des retraites, sont souvent incomprises car mal expliquées sur leur objectif et la vision de société qui les accompagnent. Est-ce cela qui nourrit la défiance entre les citoyens et le politique ?

L’une des causes majeures de la crise de l’autorité est l’absence de finalité dans les prises de décisions. On se soucie toujours des modalités d’exercice de l’autorité sans prendre en considération les conséquences sur les citoyens. C’est ce qui engendre principalement de la défiance.

Il est nécessaire de retrouver la petite flamme au fond des yeux, celle de l’espérance.  On ne peut fédérer sur des constats moroses mais autour de grandes idées. Savoir par exemple qu’une entreprise peut être utile à d’autres et n’est pas uniquement une machine financière est inspirant. C’est derrière cette inspiration que se cache la confiance.

En partageant votre expérience militaire, vous abordez le thème de la transmission, étape nécessaire pour comprendre d’où nous venons et par conséquent où nous souhaitons aller. Pensez-vous que cette anxiété de la jeunesse est la conséquence du refus des générations passées de transmettre ce qu’elles ont vécu, le sens du sacrifice, de l’effort qui a pu accompagner le siècle précédent ?

Notre société a perdu ce sens de la transmission en privilégiant la platitude de l’urgence du temps présent. Ce trou générationnel est très dangereux pour notre pays car la jeunesse est déconnectée de la société passée. Lorsque le fil de l’Histoire est coupé, cela donne lieu à des ruptures sociétales importantes. Notre histoire peut en témoigner…

L’armée est une institution éclairante sur ce plan également :  elle constitue un laboratoire mêlant tradition et modernité. Les instances gouvernementales devraient réfléchir à cette dimension intergénérationnelle afin de retisser le lien social et retrouver cette épaisseur temporelle fondamentale.

Quand vous évoquez les points d’ancrage, les qualités dans la crise et les valeurs en partage, vous utilisez des notions fortes, claires et précises mais ces termes sont-ils encore audibles par la jeunesse actuelle

Les surcouches sémantiques et les tournures verbeuses sont inutiles et inefficaces pour faire passer des messages. Les 45 lettres adressées aux jeunes ont été conçues avec un vocabulaire courant car il n’y a rien de mieux qu’un langage articulé pour être compréhensible. Le monde est si complexe aujourd’hui que l’on se doit de le simplifier. La jeunesse attend un langage qu’elle comprend et qu’elle a envie d’entendre car elle désire avant tout de l’authenticité. Mes livres portent en ce sens un discours de vérité et d’espérance pour la France, ce qui explique en partie leur succès. Les jeunes manquent de liberté intérieure, une liberté qui les affranchit de contraintes extérieures pour se retrouver eux-mêmes.

« Mieux vaut réussir sa vie que réussir dans sa vie. »

Le problème de l’autorité passe également par l’éducation. Dans le passage de votre livre consacré à l’Éducation nationale, vous donnez l’impression de laisser le soin aux parents de former la jeunesse et aux jeunes de s’affranchir de leur formation. L’école est-elle encore un lieu d’élévation ?

La jeunesse attend un cadre qu’on ne lui propose pas, et divague. Malgré ce que l’on croit, l’enfant attend que l’adulte le guide et lui montre les limites que sont le Bien et le Mal. Notre système éducatif actuel a trop abandonné l’apprentissage de l’obéissance. La jeunesse désire cette pédagogie.  On le voit ainsi dans l’armée où près de 25 000 jeunes s’engagent.

Un fonctionnement harmonieux du triptyque parents, professeurs et enfants doit être rétabli. La confiance n’existe plus dans ce triptyque : les parents sont parfois très exigeants, les professeurs ne le sont pas suffisamment et sont peu respectés. Les enfants profitent ainsi de tous les interstices dans le cadre de l’autorité. La France a d’ailleurs un des pires résultats éducatifs depuis plus de 50 ans. L’éducation nationale gagnerait à se réformer en profondeur. Une restructuration qui passe par un schéma simple : la restauration de l’autorité, la vraie, celle qui tire vers le haut les enfants.

« La désespérance ne produit rien, la plainte soulage mais ne construit rien de durable. »

Comment pouvons-nous nous relever de cette situation problématique ? Quelle qualité manque à nos dirigeants ?

Le courage est une qualité en voie de disparition chez nos dirigeants. Le cœur en est à son origine. On a besoin de personnes vraies et authentiques et non pas simplement intelligentes et séductrices. Je me méfie de ce monde où prime la séduction. Il faut réussir à prendre de la hauteur, à penser au-dessus de la mêlée pour sortir de ce discours incantatoire où les tactiques ne sont pas au service d’une stratégie.

Il y a une prise de conscience réelle de la jeunesse sur les enjeux de notre société. Pourquoi refusons-nous aujourd’hui de porter un discours de vérité ?

La jeunesse se rend compte de nos failles et s’intéresse particulièrement à la crise écologique mais aussi géostratégique. La paix n’est pas éternelle, on ne peut écarter l’hypothèse d’un conflit sur notre sol. Ce constat reste paradoxal car la paix a inhibé la vision des dirigeants. Le mot « guerre » n’est utilisé qu’à des fins d’économie de guerre, sans se référer à l’affrontement. La responsabilité de nos dirigeants est immense sur ce point et il est nécessaire de retrouver une stature et une hauteur de vue.

« La séduction n’a qu’un temps, la réalité rattrape toujours la situation. »

Si vous aviez trois ouvrages à recommander à la jeunesse, lesquels seraient susceptibles de les éclairer ?

Je recommande toujours aux jeunes Le Petit Prince de Saint-Exupéry qui porte un bel enseignement, celui de d’abord voir avec le cœur. Je recommanderais aussi Le rôle social de l’officier du maréchal Lyautey qui rejoint ce besoin de retrouver le lien social. Le dernier est Le déclin du courage d’Alexandre Soljenitsyne, une œuvre prophétique qui décrit parfaitement les racines de nos maux actuels et doit nous inciter à retrouver le courage et l’espérance.

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Jean Viard est un sociologue, éditeur et homme politique français. Il est aussi directeur de recherches associé CNRS au CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po). Fin connaisseur du territoire français, auteur éclectique, il a notamment travaillé sur l’espace (aménagement du territoire, agriculture et paysannerie),les « temps sociaux » (les vacances, les 35 heures), la mobilité et le politique. Pour À Priori(s), il livre sa perception et son analyse de l’engouement populaire rencontré par les Jeux Olympiques de Paris 2024.

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