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12.12.22

François Geerolf « Qui va payer cette facture énergétique ? »

       Alors que la question du pouvoir d’achat revient de plus en plus fortement dans le prolongement de la guerre en Ukraine et de l’instabilité grandissante des économies européennes, François Geerolf, économiste à l’OFCE, professeur assistant à l'Université de Californie et auteur, avec Pierre Jacquet en juin 2022 du rapport « Inflation et pouvoir d'achat : it's the politics, stupid! », revient pour À priori(s) sur les enjeux économiques des prochains mois pour la France.

Pouvez-vous nous parler du phénomène d’inflation actuel que connaît la France et des différents défis qu’il représente ?

La France est l’un des pays avec l’inflation la plus faible dans les pays européens. Cela s’explique très simplement par le fait que le gouvernement a déjà agi fortement, en grande partie grâce au mécanisme de bouclier tarifaire limitant la hausse du prix du gaz à 35% et de l’électricité à 5 % pour les ménages entre le 2ème trimestre 2021 et le 2ème trimestre 2022. Sans ces boucliers tarifaires, les prix auraient augmenté de 105% pour le gaz et de 35% pour l’électricité sur la même période. Selon l’Insee, ces mécanismes de bouclier tarifaire ont contribué à réduire l’inflation d’environ 3 points de pourcentage.

Cette situation de bouclier tarifaire peut-elle être amenée à durer ?

C’est une question complexe qui nécessite des précautions dans les éléments de réponse qu’on lui apporte.

Il faut d’abord garder à l’esprit que l’augmentation actuelle des prix, partout en Europe, se ressent surtout dans les biens énergétiques. Or, la France est dans une situation un peu particulière car elle importe beaucoup d’énergie pour différentes industries très consommatrices et donc grandement exposées à ce risque – la chimie, industrie électro-intensive, l’aluminium, la verrerie, etc.- et l’énergie est quelque chose de non substituable. Dans le même temps, et c’est un concours de circonstances dramatique, la production d’électricité, principalement nucléaire, est en baisse en raison d’un cycle de maintenance qui est sous pression.L’évolution de la situation va donc dépendre de facteurs géopolitiques, par définition imprévisibles, et de notre capacité à remettre en état notre niveau de production d’électricité. Néanmoins, selon plusieurs experts, la crise que nous subissons serait là pour durer et il n’est pas exclu que les difficultés de production et d’approvisionnement se prolongent. Dans ce cas de figure, il va être difficile pour le gouvernement de maintenir les dispositifs en place.

Ainsi, une question demeure : qui va payer cette facture ? En réalité, si nous tenons compte de toutes les sensibilités politiques, nous pouvons ajouter une autre question : cette facture va-t-elle ou doit-elle être payée ? Il faut bien comprendre que pour le moment, cette hausse des coûts de l’énergie se traduit par un endettement public et un endettement externe accru par rapport aux autres pays.C’est donc l’État qui paye l’augmentation des coûts de l’énergie, ce qui se retrouve dans les chiffres d’une balance commerciale très dégradée., et contribue à dégrader notre position extérieure nette vis-à-vis de l’étranger. Cette situation intenable ne peut pas durer indéfiniment, donc le gouvernement va être forcé de réduire la générosité de ces dispositifs.

«  Cette situation intenable ne peut pas durer indéfiniment, donc le gouvernement va être forcé de réduire la générosité de ces dispositifs »

Les Français ont-ils conscience de cette menace ?

Je ne pense pas, malheureusement…. Or, le problème ne fait que commencer dans la mesure où les contrats des entreprises françaises vont être renouvelés d’ici le début de l’année prochaine et où certaines entreprises sont actuellement en train de découvrir les augmentations de prix auxquelles elles s’apprêtent à être confrontées. Si certaines vont profiter de leurs positions concurrentielles pour augmenter leurs prix, nombreuses seront celles qui devront éroder leurs marges avec le risque de faillite qui accompagne ce processus.

Nous n’avons pas encore pris complètement la mesure de ce risque-là en France, contrairement à l’Allemagne qui, depuis mars 2022, a identifié très tôt ce risque et réfléchi aux différentes possibilités pour défendre son industrie. La raison ? Elle est simple et malheureuse : nous étions en période d’élection tout le premier semestre 2022. Or, la volonté politique d’alors fut de tenir un discours optimiste sur l’état de nos finances et sur les perspectives à venir. Ce n’est pas dommageable en soi et il devient plus compliqué ensuite d’expliquer aux Français que la situation va s’aggraver fortement. Le choc est brutal. Et je pense qu’il n’est pas encore perçu à sa juste ampleur.

Dans ces conditions, comment appréciez-vous la tension déjà existante et celle à venir sur le niveau de la dette française ?

Inutile de se raconter des histoires, la France a un vrai problème d’endettement extérieur. Si l’objectif est d’avoir une balance commerciale équilibrée – et ce, d’autant plus avec une facture énergétique croissante- il faudrait être en mesure d’exporter des biens manufacturés qui nous permettent de payer ces dépenses supplémentaires. Ce n’est pas le cas et nous observons ainsi, irrémédiablement, l’amplification du déficit commercial dû à la protection du pouvoir d’achat des ménages.

Dans un fonctionnement théorique plus libéral de l’économie, l’augmentation de la facture énergétique aurait réduit le pouvoir d’achat des ménages pour le reste de leurs dépenses réduisant de fait les importations et donc le déficit de la balance commerciale. Avons-nous abandonné cette idée ou remettons-nous simplement la baisse de pouvoir d’achat à plus tard ? Il parait pourtant compliqué de continuer à payer 40 milliards chaque année de facture énergétique supplémentaire. Il me semble que le pari initial du gouvernement était de payer la facture énergétique en espérant qu’elle soit transitoire afin de gagner des parts de marchés grâce à une compétitivité accrue. Une sorte de désinflation compétitive. J’ai peur que cette stratégie pose question sur la durée, rendant l’équation budgétaire de l’État très difficile et les arbitrages à venir bien plus durs.

«  Remettre en cause le dogme d’une lutte contre l’inflation et de la monnaie forte, ce serait prendre le risque de remettre en cause la zone euro, car les conceptions monétaires de nos partenaires d’Europe du Nord sont fortement ancrées »

Depuis le début de l’entretien nous évoquons les effets négatifs de l’inflation provoquée par la hausse des prix de l’énergie. Y a-t-il aussi des effets positifs ?

C’est une excellente question car elle illustre la difficulté d’aborder cette notion complexe d’inflation. Vous l’avez dit, l’inflation que nous subissons actuellement est surtout une inflation importée et celle-ci se caractérise par une baisse du pouvoir d’achat. Il est évident pour tout le monde que cette inflation n’est pas souhaitable et qu’elle fait du mal à l’économie, mais malheureusement nous n’y pouvons rien. Pourtant, lorsque l’inflation est complétement interne (c’est-à-dire qu’elle est entretenue par une hausse des prix et des salaires), c’est un processus différent qui aboutit in fine à des effets redistributifs entre groupes sociaux, en faveur des emprunteurs et au détriment des prêteurs, en faveur des jeunes et des actifs et en défaveur des retraités (cela dépend in fine beaucoup des dispositifs d’indexation des prix), en faveur des États et en défaveur des investisseurs dans les obligations souveraines, etc. Mais au total, il n’est pas si clair que l’économie souffre nécessairement de ce type d’inflation : au contraire, même, ce type d’inflation a un effet potentiellement revigorant. C’est en tout cas, je le crois, un débat qu’il faudrait davantage mettre sur la table et qui est aujourd’hui comme faussé par la Banque Centrale Européenne car celle-ci lie inflation et pouvoir d’achat, comme si toutes les inflations étaient d’origine importée, alors que ce n’est pas aussi évident. C’est clairement hérité d’une influence allemande sur le traité de Maastricht et la création de la monnaie unique dans lequel la lutte contre l’inflation est inscrite, selon lequel l’euro doit être une monnaie forte accompagnée d’une inflation faible, coûte que coûte. Remettre en cause le dogme d’une lutte contre l’inflation et de la monnaie forte, ce serait prendre le risque de remettre en cause la zone euro, car les conceptions monétaires de nos partenaires d’Europe du Nord sont fortement ancrées. Ce débat a eu lieu au début des années 2010, mais pour le moment, aucun parti politique de premier plan ne veut remettre cette question sur la table.

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