Quels sont les effets de la contre-offensive ukrainienne qui a débuté en juin dernier ?
Florent Parmentier : Pour l’heure, les percées menées par l’Ukraine sont réversibles et n’affaiblissent pas durablement l’armée russe.
Les premiers mois du conflit avaient donné lieu à de nombreux commentaires sur la désorganisation de l’armée russe. Cette analyse est aujourd’hui largement battue en brèche. Comme dans tout conflit, les belligérants connaissent un processus d’apprentissage. L’armée russe a tiré les leçons de ses limites et de ses erreurs et s’est ainsi renforcée. En outre, le nombre d’armes que les Russes sont capables de produire a progressé considérablement.
Du côté de l’Ukraine, les pertes sont considérables. Cette contre-offensive a causé la mort d’au moins 75.000 personnes côté ukrainien…
Cyrille Bret : Une contre-offensive poursuit un objectif de reconquête territoriale voire la victoire contre l’ennemi. À cet égard, elle n’a pas eu les effets escomptés au début de l’été. Sur le plan stratégique, le rapport de force n’a pas changé depuis la stabilisation territoriale de la ligne de front qui a eu lieu à l’automne 2022. Nous sommes à présent dans un conflit de positions, un conflit gelé.
La résistance de la Russie face à la contre-offensive permet au gouvernement de préparer la campagne électorale dans la perspective des élections présidentielles de 2024. La Russie peut ainsi montrer à son électorat que les efforts déployés ne sont pas inutiles et qu’ils ont notamment permis de conserver la Crimée sous contrôle russe.
En Ukraine, des voix commencent à s’élever pour déplorer les pertes et critiquer les résultats insuffisants de la contre-offensive. En effet, les efforts consentis ne suffisent pas à redonner à l’Ukraine son intégrité territoriale.
"Les sanctions constituent un point intermédiaire entre l’inaction et le fait d’engager des troupes sur le terrain. C’est l’outil de politique étrangère le plus utilisé depuis la fin de la Guerre froide"
Une coopération militaire renforcée entre la Russie et la Corée du nord pourrait-elle émerger ?
Florent Parmentier : Depuis le début de ce conflit, les Russes font la guerre en utilisant plus de munitions que l’Ukraine. Pour le dire simplement, nous avons affaire à une guerre d’artillerie. Ainsi, on peut très bien imaginer que les Nord-Coréens fournissent des munitions et des obus aux Russes, d’autant qu’il y a une frontière commune entre les deux pays. Des millions de munitions pourraient ainsi transiter sans difficultés.
Cyrille Bret : Il faut se garder d’analyser ce rapprochement comme une solidification de la ligne des dictateurs qui serait lancée par Poutine. Sans compter que le complexe militaro-industriel russe a les moyens de se passer du soutien nord-coréen.
Ce rapprochement intervient à un moment où Vladimir Poutine a pu apparaitre comme un paria, absent du sommet des BRICS en août et de la dernière assemblée générale des Nations Unies en septembre. Il convient également de l’analyser comme un message envoyé à Pékin pour montrer que la Russie peut avoir une diplomatie dans son arrière-cour. Ainsi, la Russie s’efforce de continuer à exister dans les relations internationales, en Afrique, en Asie du Nord, en Asie du Sud, etc.
Les sanctions infligées à la Russie ont-elles porté leurs fruits ?
Cyrille Bret : Le premier objectif des sanctions consiste à priver la Russie des moyens de faire la guerre. C’est le sens des sanctions sectorielles destinées à affaiblir la croissance russe et priver le complexe militaro-industriel des composants, matériels et équipements permettant de faire la guerre.
Malgré des sanctions financières fortes, le PIB russe a résisté. En outre, les chaînes de production de l’armement russe ne se sont pas arrêtées. Le complexe militaro-industriel russe a réussi à contourner ces sanctions.
Songeons à la livraison de drones iraniens et de sous-composants électroniques en provenance d’Eurasie. L’hiver dernier, plusieurs experts avaient estimé que la Russie n’allait plus pouvoir produire de missiles. Ce n’est pas le cas. Les sanctions ont produit des effets mais il ne faut pas en surestimer la portée. Toujours-est-il que la Russie est aujourd’hui le pays le plus sanctionné sur la scène internationale à l’heure actuelle. Ces sanctions produiront un effet macroéconomique de long terme sur son appareil productif comme le montrent les précédents de l’Iran, de Cuba, de la Corée du Nord…
Florent Parmentier : Les sanctions constituent un point intermédiaire entre l’inaction et le fait d’engager des troupes sur le terrain. C’est l’outil de politique étrangère le plus utilisé depuis la fin de la Guerre froide.
Pour être efficaces, les sanctions doivent être immédiates. Mais il faut aussi que l’interaction entre le pays ordonnateur de la sanction et le pays visé soit importante. Ce qui explique pourquoi la politique de sanctions vis-à-vis de la Corée du nord n’est pas efficace. Tandis qu’en Russie, les sanctions sont susceptibles de créer des tensions entre des acteurs qui ont des intérêts divergents.
Si les sanctions ont un coût pour le pays ciblé, elles finissent également par impacter ceux qui les adoptent. La Russie a adopté plusieurs mesures en réponses aux sanctions qu’elle subit, à commencer par l’arrêt des exportations de gasoil à destination de plusieurs pays. Il faut aussi avoir à l’esprit qu’entre 2014 et 2022, la Russie est redevenue une grande puissance agricole. Ce statut lui permet de nuire à plusieurs pays émetteurs de sanctions à son égard.
Quels sont les principaux scénarios pour les prochains mois ?
Florent Parmentier : Nous assistons à la fin de la contre-offensive ukrainienne. Dans les prochains mois, la principale question sera de savoir comment l’Ukraine peut continuer à avoir du soutien de la part des Européens et des Américains. On peut tout à fait imaginer que l’opinion publique aux États-Unis va être accaparée par la question des élections présidentielles. Partant de là, l’Ukraine deviendra immédiatement moins prioritaire.
Actuellement, la Russie dispose d’une réserve de 270 000 hommes et d’un stock d’obus très important qui n’a pas d’équivalent côté ukrainien. Le scénario d’effondrement de la Russie parait à présent de moins en moins plausible.
Cyrille Bret : Tant le scénario d’effondrement de la Russie que celui de l’Ukraine semblent peu probables.
Le scénario de la victoire, d’un côté ou de l’autre, n’est pas non plus à l’ordre du jour. Les deux belligérants ont défini leur victoire de façon maximaliste. Du côté ukrainien, c’est la reconstitution de son territoire. Pour la Russie il s’agit de refaire de l’Ukraine un pays satellite.
Le scénario de l’usure n’est pas à exclure. Dans cette hypothèse, le conflit resterait actif et meurtrier mais finirait par s’enliser. Mais, à ce jeu, l’Ukraine dépendra de plus en plus de ses soutiens extérieurs.