23.01.25

10 milliards d’ici 2100 : mythe de la surpopulation ou vrai défi ?  

       Sommes-nous trop nombreux sur terre ? Faut-il stopper la croissance démographique ? Doit-on s’inquiéter du vieillissement de la population ? Alors que le nombre d’humains sur Terre atteint plus de 8 milliards et que les projections estiment qu’il pourrait culminer à 10 milliards d’ici la fin du siècle, Gilles Pison, démographe, professeur émérite au Muséum national d’Histoire naturelle et conseiller de la direction de l'Institut national d’études démographiques, décrypte les dynamiques mondiales actuelles et nous invite à prendre du recul.

Vous avez publié en 2023 une nouvelle édition de votre Atlas de la population mondiale : quels sont vos projections pour la démographie d’ici la fin du siècle et les principaux défis associés ?

Gilles Pison : Commençons par des rappels : en 2025, la population mondiale compte 8,2 milliards d’humains, selon les Nations unies. À titre de comparaison, elle n’était que d’un milliard en 1800. En deux siècles, la population a donc été multipliée par plus de huit, portée par les progrès en matière d’hygiène, de médecine et des conditions socio-économiques. Les projections indiquent qu’elle pourrait atteindre environ 10 milliards d’habitants à la fin du siècle. Cette croissance démographique s’explique par un excédent des naissances sur les décès. À l’échelle planétaire, il y a donc deux fois plus de naissances que de décès. Ce phénomène n’est pas nouveau. Il a commencé il y a plus de deux siècles en Europe et en Amérique du Nord avec la baisse de la mortalité, marquant le début de ce que les scientifiques appellent la transition démographique. Cette transition s’est ensuite propagée au reste du monde,

Toutefois, même si la population mondiale continue de croître, c’est à un rythme qui ralentit. Le taux d’accroissement, qui atteignait plus de 2% par an il y a six décennies, est estimé à 0,9% par an en 2025 et devrait continuer de baisser dans les prochaines années. Ce ralentissement est lié à la diminution de la fécondité, passée de 5 enfants en moyenne par femme dans les années 1960 à 2,2 aujourd’hui.

Cependant, cette baisse n’est pas uniforme dans toutes les régions. L’Afrique et une bande de l’Asie allant du Kazakhstan au Pakistan, en passant par l’Afghanistan, affichent encore une fécondité élevée, supérieure à 2,5 enfants par femme, même si elle baisse, comme partout. L’Afrique incarne donc une part croissante de l’humanité. Sa population pourrait presque tripler d’ici la fin du siècle, passant de 1,5 milliard aujourd’hui à près de 4 milliards en 2100. Plus d’un tiers de la population mondiale vivrait alors sur ce continent, qui va prendre de l’importance sur les plans démographique, économique et géopolitique.

Certaines personnes affirment que nous sommes trop nombreux sur Terre et la question de la décroissance démographique est alors parfois évoquée comme une solution. Est-elle envisageable ou même souhaitable ?

GP : Il est illusoire d’imaginer une décroissance de la population tout de suite. Car comment l’obtenir ? Par une hausse de la mortalité ? Personne ne le souhaite. Par une émigration massive vers la planète Mars ? Irréaliste. Par une baisse drastique de la fécondité et son maintien à un niveau très inférieur au seuil de remplacement (2,1 enfants) pendant longtemps ? C’est déjà ce qui se passe dans une grande partie du monde, les humains ayant fait le choix d’avoir peu d’enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité. Mais il n’en résulte pas tout de suite une diminution de population en raison de l’inertie démographique : même si la fécondité mondiale n’était que de 1,4 enfant par femme tout de suite, comme en Europe, la population continuerait pourtant d’augmenter pendant encore quelques décennies. La population comprend en effet encore beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses et le nombre de décès est alors faible.

« Il est illusoire d’imaginer une décroissance de la population tout de suite. »

Réguler la démographie ne serait donc pas un moyen d’assurer la survie de la planète ?

GP : Il est irréaliste de penser pouvoir agir sur le nombre des humains à court terme. En revanche, il est possible d’agir sur nos modes de vie sans attendre. Même avec une population mondiale réduite à 1 milliard d’humains, les défis liés au climat, à la biodiversité et à l’épuisement des ressources persisteraient si ce milliard avait le mode de vie des pays riches (Europe, Amérique du Nord, Japon). Ainsi, le véritable problème ne réside pas dans le nombre d’humains, mais dans la manière dont nous vivons.

La survie de l’espèce humaine dépend de notre volonté de changer nos modes de vie sans délai, pour les rendre plus respectueux de l’environnement, économes en ressources et attentifs à la biodiversité.

« Même avec une population mondiale réduite à 1 milliard d’humains, les défis liés au climat, à la biodiversité et à l’épuisement des ressources persisteraient si ce milliard avait le mode de vie des pays riches. »

Parallèlement à cette croissance globale que vous décrivez, on s’inquiète de plus en plus que les Français (et beaucoup d’autres) arrêtent de faire des enfants ? Vous ne semblez pas inquiet par cette baisse de la fécondité…  

GP : La baisse de la fécondité, observée depuis deux siècles, est liée aux changements sociaux et économiques. Partout dans le monde, les femmes et les hommes souhaitent avoir moins d’enfants pour leur assurer une vie de qualité comme déjà mentionné. La forte natalité du passé était en partie liée à des taux élevés de mortalité infantile et au rôle économique des enfants dans les foyers. Aujourd’hui, ces dynamiques ont changé, la mortalité infantile a considérablement diminué et les enfants représentent un coût, plus qu’une force de travail à la maison.

Cette tendance mondiale à la baisse de la fécondité a désormais fait passer le taux sous le seuil de remplacement de 2,1 enfants par femme sur tous les continents, à l’exception de l’Afrique, bien qu’elle y diminue également. Si la fécondité mondiale continuait de baisser et se maintenait partout durablement en dessous de ce seuil, il en résulterait une réduction progressive de la population mondiale et, à terme, une disparition de l’espèce humaine. Cependant, ce scénario reste très lointain et sans incidence sur les enjeux actuels.

Le vieillissement démographique est un autre enjeu mondial. Quels sont, selon vous, les impacts sociétaux majeurs de ce vieillissement accéléré ?

GP : Le vieillissement démographique est une conséquence de la transition démographique, marquée par un allongement de la vie et une baisse de la fécondité. La population mondiale vit plus longtemps, souvent en meilleure santé, ce qui est positif mais s’accompagne d’un défi de taille : adapter les systèmes de solidarité envers les personnes âgées.

Dans les pays du Nord, l’enjeu déjà adressé régulièrement consiste à ajuster les systèmes de retraite qui existent déjà, pour garantir des conditions de vie décentes aux générations futures. Dans les pays du Sud, la situation est plus critique et nous n’en parlons pas assez. Le vieillissement y est beaucoup plus rapide que dans les pays développés. Par exemple, alors qu’il a fallu 125 ans à la France pour que la proportion des plus de 65 ans double de 7% à 14%, ce même phénomène s’est produit en seulement 22 ans en Chine et en moins de 20 ans dans d’autres pays comme la Corée du Sud ou la Thaïlande. Or, beaucoup de pays du Sud ne disposent pas de systèmes de retraite généralisés et il va falloir qu’ils en mettent en place.

Les familles, qui historiquement prenaient en charge les personnes âgées, ne peuvent plus assumer ce rôle en raison de l’urbanisation, des évolutions sociétales et des modes de vie modernes. Les jeunes adultes dans ces pays attendent désormais de l’État qu’il assure les moyens d’existence des aînés. Sans action rapide pour instaurer des systèmes de solidarité collective, de nombreuses personnes âgées risquent de vivre dans la précarité demain. Il est donc nécessaire de prendre rapidement la mesure de ce défi global, particulièrement dans les pays en développement.

Les migrations et l’urbanisation jouent aussi un rôle important dans la démographie mondiale. Quelles tendances observez-vous ?

GP : Les migrations sont un phénomène ancien, inhérent à l’histoire humaine. Il est difficile de distinguer les causes climatiques des autres facteurs dans les flux migratoires, qu’ils soient du passé ou actuels.

Quant à l’urbanisation, elle est inexorable. Près de 60% de la population mondiale vit déjà en ville et cette proportion continue de croître avec des niveaux contrastés : environ 80% en Amérique du Nord, en Europe et en Amérique latine, contre 55% en Asie et 45% en Afrique. Cette tendance devrait se poursuivre, sans toutefois entraîner une disparition complète des zones rurales, notamment en raison des activités agricoles et du besoin de proximité avec les villes.

L’urbanisation n’est pas un problème en soi. Les villes centralisent emplois, services, soins et infrastructures, et offrent souvent une meilleure qualité de vie qu’en milieu rural. Néanmoins, la poursuite de l’urbanisation ne doit pas s’opérer comme elle s’est faite jusqu’ici dans les pays du Nord, avec un étalement urbain qui consomme les terres cultivables et augmente la dépendance à la voiture. L’enjeu actuel est donc de concevoir des villes durables, mieux adaptées aux défis environnementaux.

La démographie façonne le monde, mais elle n’est ni un problème à résoudre ni une solution miracle. Elle est un outil de compréhension et une invitation à passer à l’action ! Il faut appréhender ses dynamiques pour anticiper et s’adapter.

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