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24.01.23

Rémi Cardon, à la recherche du compromis

       Rémi Cardon a été élu sénateur de la Somme à 26 ans, un âge et un parcours qui dénotent au Palais du Luxembourg. Il revient avec nous sur son engagement, sa vision du débat et du rôle de sénateur, à la fois représentant des Français et de son territoire.

Vous vous êtes engagé très jeune en politique, dès l’âge de 15 ans, quelles sont alors vos motivations ?

Je me suis d’abord engagé dans le mouvement de la jeunesse socialiste, et en parallèle au sein de mon établissement scolaire, au Conseil de la Vie Lycéenne. Avec pour ambition de faire vivre la cité, mon lieu de vie, mon établissement, soit la définition la plus simple de la politique.

J’ai été très jeune marqué par des situations d’inégalités, cela a pour moi été un déclic, et c’est ce qui a décidé de mon engagement à gauche de l’échiquier politique. J’ai aussi compris qu’au-delà des discours, la politique ce sont aussi des actes, comme lorsque le Conseil régional de Picardie a lancé cent repas gratuits pour les étudiants boursiers.J’aime l’esprit du collectif et me suis également formé à travers le milieu associatif, qui m’a permis de comprendre la gestion partagée d’un projet mais aussi d’aiguiser mon esprit critique, ma compréhension du fonctionnement de la société.

Quels ont été vos engagements associatifs ? Avez-vous également été tenté par l’expérience du privé ?

Mon engagement a toujours été de faire vivre le débat politique et démocratique, tout en étant militant par ailleurs.  

J’ai présidé l’association “jeune’xprime” qui avait pour vocation de combattre l’abstention chez les jeunes. Nous avons testé différentes méthodes, comme les « taxisoloirs », qui consistaient à aller chercher des électeurs qui ne disposaient pas de moyen de transport pour les accompagner aux urnes, des « selfiesoloirs » pour capter l’attention et sensibiliser aux compétences des collectivités et aux enjeux des élections. L’association était résolument apolitique, mais animée par des jeunes de tous les partis. Cela permettait d’apprendre à se connaître et à se respecter.

J’ai également travaillé dans le marketing digital et pour une entreprise qui accompagnait des collectivités dans leur transformation numérique, où j’ai pu appréhender leur fonctionnement interne et travailler en direct avec des élus de la Somme.

Quel a ensuite été votre parcours politique ?

À l’âge de 19 ans, j’ai été élu sur une liste de ma commune, Camon près d’Amiens (80), une ville de 4 500 habitants. En 2018, j’ai pris des risques en devenant premier secrétaire fédéral du PS de la Somme, à 24 ans, et alors que le parti s’effondrait en nombre de militants et en moyens. Je voulais montrer un nouveau visage du PS.

Un an plus tard, j’ai été candidat sur une liste aux élections européennes, constatant que nombre de nos lois découlent de directives européennes, et que, sur mes sujets de prédilection, comme le numérique, l’Europe est un formidable levier.

Puis en 2019, avec cette connaissance du territoire, j’ai signalé mon envie d’être candidat aux élections sénatoriales de 2020. Au début, mes interlocuteurs ont eu des doutes, je ne correspondais pas à l’image du sénateur. Il a fallu convaincre les élus locaux.

Quels ont alors été vos arguments ?

Ce n’est pas une question d’âge mais de volonté et d’expérience. Et fort de 10 ans d’engagement politique, de mon travail dans les instances de jeunesse, d’un mandat d’élu local et d’un passage dans le privé, mon expérience était très significative.

Certes, je ne correspondais pas à l’image classique du sénateur, ancien président de département ou député, et contrairement à beaucoup, j’ai dû poser des congés sans soldes pour faire campagne ! Mais j’ai démontré aux élus locaux l’intérêt d’avoir un sénateur dans le premier groupe d’opposition, une opportunité de plus de faire avancer les dossiers, avec une expérience de terrain, qui connaît leurs problématiques quotidiennes.  

J’ai aussi effectué un travail pour dégager une vraie vision pour le département, dossier par dossier, en clarifiant mes positions et mon interprétation du rôle du sénateur, qui selon moi doit être pour les élus locaux un facilitateur des projets de leur mandat, un accompagnateur dans l’ingénierie territoriale.

« Je pars du principe que je n’ai pas été élu pour m’opposer à tout, mais pour faire avancer des projets alors j’essaie de trouver des compromis »

Justement, comment concevez-vous la variété des missions du sénateur ?

À mon sens, le Sénat est plutôt la chambre qui rassure et débat, en parallèle de l’Assemblée nationale qui est particulièrement animée.

Le Sénat joue un rôle de législateur, à égalité avec l’Assemblée nationale, et de contrôle du gouvernement. Lorsque j’échange avec les élus locaux, ils me renvoient souvent à la fonction de représentation, serrer des mains, porter l’écharpe, et en effet, c’est très important pour connaître son territoire, mais ce n’est pas tout !

J’essaie de porter une vision d’avenir pour le développement de la Somme, qu’elle évolue d’un territoire de passage à un territoire d’ancrage. Je m’attache à faire le lien entre mon action législative au Sénat et les problématiques du département, pour donner du sens à mon mandat.

J’organise tous les trimestres des ateliers thématiques entre acteurs privés, publics, élus, pour expliquer les enjeux, détailler les dispositifs qui existent. Et je note qu’il y a un manque d’efficacité de très nombreux outils existants, qui sont sous utilisés. Pour moi, le “bon politique” c’est celui qui arrive à vulgariser ce qui est complexe, qui peut l’expliciter simplement.

À ce propos, nous avons l’image d’un Sénat plus prompt aux compromis que l’Assemblée nationale, quel regard portez-vous ?

C’est vrai ! Je pars du principe que je n’ai pas été élu pour m’opposer à tout, mais pour faire avancer des projets. Alors j’essaie de trouver des compromis. Mon objectif est de faire passer des amendements de qualité, sans me disperser. J’ai aussi à cœur de négocier, même sur des sujets très politiques, comme lorsque j’ai proposé l’extension du Revenu de Solidarité Active (RSA) aux moins de 25 ans, j’ai rencontré les responsables LR pour présenter ma proposition.

Pensez-vous que le débat soit en danger en France ?

Lorsque je participe à des débats avec des opposants politiques, j’explicite la position de leur parti et ce que propose le mien, sans jamais entrer dans l’affrontement personnel. Le débat politique doit se concentrer sur les idées, commenter les arguments de chacun, intégrer les propositions, et rester dans une posture nuancée et argumentée.

Pour moi, il y a aussi des débats de fond hystérisés par des postures irrationnelles. Si vous prenez l’exemple de l’énergie et de son coût, il est impensable de ne pas partager le constat d’une souveraineté à retrouver. Certains pourtant le refusent et empêchent ainsi de débattre sur ses modalités et le fond du sujet.

J’ai notamment travaillé sur le sujet des éoliennes dans la mesure où le département de la Somme en dénombre plus de 1000. Nous avons un retour d’expérience poussé. Xavier Bertrand a rendu ce sujet clivant durant la campagne des élections régionales, chacun se positionnait pour ou contre. Sur le terrain, la gauche se faisait presque insulter. Les habitants avaient le sentiment d’avoir été sacrifiés. J’ai travaillé pendant un an pour imaginer comment les rendre acceptables pour les territoires et les habitants.

J’ai proposé des articles assez simples, comme ne pas avoir d’éoliennes sur un angle de respiration de 90 degrés, pour ne plus en avoir à 360 degrés qui sont illuminées la nuit !

Depuis, les choses ont évolué avec la crise de l’approvisionnement énergétique, et la production éolienne provoque au contraire un sentiment de fierté.

On voit que le sujet du prix de l’énergie est une grande préoccupation des maires aujourd’hui, quels sont les autres retours du terrain que vous avez ?

Dans une petite collectivité, la marge de manœuvre est souvent de deux ou trois mille euros, alors l’augmentation actuelle des prix inquiète. Les maires souhaitent désormais fournir des efforts, comprenant que les sujets du coût, de la production et de la sobriété s’entrecoupent.

L’objectif de « zéro artificialisation nette » est aussi inquiétant pour les élus des petites communes. Cela restreint le droit de créer des logements, mais imaginez un maire qui craint la fermeture d’une classe ? En parallèle, on déroule le tapis rouge à Amazon pour construire des entrepôts sur des terres agricoles. Il y a un décrochage entre deux France, rurale et urbaine. Il existe une politique de la Ville, pourquoi pas une politique de la ruralité ?

Je remarque également que la création de plus grosses structures intercommunales et la fusion de communes dans le sillage de la loi NOTRe génère un sentiment d’éloignement de la décision. On compte jusqu’à 10% d’absentéisme régulier dans les assemblées communautaires, où siègent les élus des communes pour gérer les projets intercommunaux. Beaucoup de Maires sont déçus, ils ne sont pas formés pour la prise de parole dans ces grandes assemblées, pas accompagnés sur le fond, c’est très inquiétant. 

J’ai aussi le sentiment que l’on a tellement détruit les corps intermédiaires, les partis, les syndicats, que la politique n’apparaît plus que de façon verticale, avec des niveaux de défiance très élevés.

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