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15.03.23

Fabienne Keller, Défendre les valeurs européennes

       Fabienne Keller a été élue Maire de Strasbourg en 2001, puis Sénatrice du Bas-Rhin en 2005. Elle siège depuis 2019 au Parlement européen, au sein de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, et de la Commission des budgets. Elle a également été élue Questeure du Parlement européen en janvier 2022. Retour sur un engagement varié, marqué par une dimension européenne, et pour la défense des valeurs démocratiques.

Vous êtes élue depuis 1992, quels ont été les premiers moteurs de votre engagement politique ?

J’ai baigné dans un environnement familial très concerné par la chose publique. Mon père était adjoint au Maire de Sélestat, j’ai donc été inspirée dès mon plus jeune âge par son engagement et le sens de l’intérêt général qui le guidait. Cela m’a donné envie de m’engager à mon tour.

En 1992, j’ai été la première femme élue au Conseil Général du Bas-Rhin. Cette étape a été marquante dans mon parcours, ayant grandi avec les combats de femmes telles que Simone Veil ou Gisele Halimi. Par ailleurs, en tant qu’Alsacienne, j’ai développé très tôt une forte conscience européenne.

La République, la construction européenne, la justice et l’intérêt général sont les moteurs de mon engagement politique.

Vous avez été à la fois conseillère générale, régionale, Maire, Sénatrice, aujourd’hui Députée européenne, quel est pour vous le mandat le plus difficile ? Comment combinez-vous ces différentes expériences à différentes échelles ?

Chacun des mandats que j’ai occupés a présenté des défis singuliers et passionnants.

Le mandat de Maire est surement celui qui engage le plus de responsabilités, c’est aussi celui dont l’action a l’impact le plus direct et qui est la plus visible aux yeux des citoyens. 

C’est justement cette expérience qui m’a conduit à me présenter en tant que Sénatrice, afin de poursuivre mon engagement en faveur de nos territoires et des élus locaux au niveau national.

L’expérience acquise dans chacun de mes mandats m’a permis de mieux comprendre les problématiques auxquelles sont confrontés les citoyens et d’adapter au mieux les solutions que nous pouvons apporter. En tant que députée européenne, j’ai appris à travailler étroitement avec mes collègues des pays européens, à appréhender les différentes perspectives et penser des compromis pour faire avancer les intérêts de l’Union européenne.

La façon de faire de la politique a énormément changé durant les 30 dernières années, notamment bouleversée par l’émergence des réseaux sociaux, comment avez-vous pris ce virage, et pensez-vous que l’on peut échapper à la violence actuelle du débat public ?

J’ai compris très tôt l’importance d’être présente sur les réseaux sociaux pour entretenir un lien privilégié avec les citoyens. Ces nouveaux moyens de communication sont une chance pour la démocratie, ils nous permettent d’améliorer la transparence et d’impliquer les populations dans la prise de décision.

Cependant, les réseaux sociaux ont introduit de nouveaux défis. On constate une augmentation significative de la haine en ligne et notamment une plus grande violence dans le débat public, surtout dans les échanges numériques qui renforcent la polarisation des débats. Il est indispensable de lutter contre ces dérives et de réguler le partage d’informations.

En 2021, Le Parlement européen a adopté un règlement qui impose aux plateformes de retirer ou bloquer les contenus haineux dans un délai d’une heure. Je suis fière d’avoir travaillé sur ce texte important. 

Il est primordial aussi de continuer à sensibiliser les internautes à l’importance du respect de chacun en ligne. Nous devons travailler ensemble pour promouvoir un débat public respectueux et constructif.

Les responsables politiques ont un rôle majeur à jouer en établissant des normes éthiques et en montrant l’exemple. En tant que représentant, il est nécessaire de prendre conscience de notre influence sur les réseaux sociaux et de faire preuve de prudence dans notre utilisation de ces outils.

" En tant que représentant, il est nécessaire de prendre conscience de notre influence sur les réseaux sociaux et de faire preuve de prudence dans notre utilisation de ces outils."

Après la crise de la COVID19, le siège du Parlement européen à Strasbourg, vide pendant un an, a été de plus en plus contesté. Aujourd’hui, les eurodéputés sont revenus, quelle est la stratégie d’influence exercée et ses arguments pour maintenir ce siège ?

Chaque crise est une occasion supplémentaire d’attaquer le principe du fonctionnement du Parlement européen sur trois sites et le siège de Strasbourg. Depuis le début de mon mandat en 2019, je me bats avec détermination pour convaincre mes collègues de l’importance de la tenue des sessions plénières à Strasbourg.

Strasbourg incarne la diversité politique, culturelle et géographique de l’Europe. Elle est le symbole de la reconstruction européenne, d’une amitié et d’une coopération retrouvée entre les peuples d’Europe à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.

Le siège de Strasbourg est également un gage d’indépendance pour le Parlement européen par rapport aux autres institutions européennes, afin de garantir un fonctionnement démocratique sain et faire entendre la voix des citoyens.

Pour toutes ces raisons, je continue de me battre afin de convaincre sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur.

L’eurobaromètre de juillet 2022 démontre que 65 % des Européens sont optimistes quant à l'avenir de l'UE, 47% en ont une image positive, niveau le plus haut depuis 2009. Comment expliquez-vous ce regain de popularité ?

Déjà en 2019, les élections européennes ont enregistré un taux de participation plus élevé que les précédentes. Cela s’est visiblement poursuivi récemment par des opinions favorables sur l’action de l’Union européenne.

On peut l’expliquer par plusieurs facteurs, notamment la gestion de la crise sanitaire qui a renforcé l’unité et l’efficacité de l’Europe ainsi que la solidarité entre les États membres. Les citoyens ont pu constater et apprécier la rapidité des mesures en soutien aux pays les plus touchés, les efforts déployés pour regrouper les commandes de vaccins et accélérer leurs distributions.

La guerre en Ukraine a également participé à rappeler la force des valeurs européennes et l’importance de la liberté et de la paix. Face à cette guerre à nos portes, l’Union européenne est restée unie et solidaire, en soutien au peuple ukrainien et son courage face à l’agression russe.

Nous devons continuer à travailler pour répondre aux attentes et aux besoins des citoyens. Cela implique de rester à l’écoute de leurs préoccupations et de travailler en étroite collaboration avec les gouvernements nationaux pour préserver nos valeurs européennes.

"Je suis convaincue que l’Union européenne a un rôle majeur à jouer pour soutenir les acteurs qui se battent au quotidien pour protéger nos valeurs communes."

Vous défendez avec force les valeurs de l’Union européenne et le respect de l’État de droit. Comment continuer à défendre ces principes alors que certains régimes se durcissent en son sein ? La conditionnalité des financements européens est-elle la seule vraie arme, et peut-elle être dans les faits déclenchée ?

Je suis convaincue que l’Union européenne a un rôle majeur à jouer pour soutenir les acteurs qui se battent au quotidien pour protéger nos valeurs communes.

Il est vrai que depuis quelques années, nous observons avec stupeur le démantèlement de l’État de droit par des gouvernements populistes et conservateurs notamment en Hongrie et en Pologne. Le recul des libertés est un désastre pour les citoyens européens qui subissent l’influence du pouvoir politique sur les décisions de justice, l’absence de liberté des médias et la mise en place de campagne de haine vers les minorités (femmes, homosexuels…).

Une des armes face à ces régimes autoritaires est d’abord symbolique :  l’UE doit s’opposer aux valeurs défendues par ces gouvernements. Une autre arme plus concrète est la mise en place de sanctions économiques. Depuis le 1er janvier 2021, l’ensemble des fonds européens, y compris les 750 milliards d’euros du plan de relance, sont conditionnés au respect de l’État de droit. C’est la première fois que des sanctions aussi importantes sont mises en place.

Le 1er juin 2022, la Commission a décidé de conditionner le versement des 35 milliards d’euros du Plan de relance polonais à la mise en œuvre de réformes de son système judiciaire. Le 12 décembre 2022, l’UE a suspendu 6,3 milliards d’euros de fonds européens et 5,8 milliards d’euros du Plan de relance européen à la Hongrie, tant que le gouvernement ne se conforme pas à 27 exigences sur la réforme de la justice et la lutte anti-corruption.

Je suis fière d’appartenir à une assemblée qui agit concrètement sur ce sujet.

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