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« Ça s’appelle l’ensauvagement ». Après le meurtre au couteau d’un adolescent de 16 ans au cours d’une rixe dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 novembre dans le village de Crépol (Drôme), Gérald Darmanin a voulu marquer les esprits pour qualifier les agissements de la dizaine d’individus à l’origine des violences.  

Ensauvager, qui signifie littéralement « rendre sauvage », a pour origine le terme latinsilva qui signifie « forêt, bois » et au pluriel « arbres, plantes ». Synonyme du grec hulé, il désigne également les « matériaux de construction ». Le mot sauvage traduit ici ce qui est à l’état de nature, ce qui n’a pas été transformé. 
 
En ancien français, l’adjectif s’applique aux animaux vivants en liberté dans la nature. Parallèlement, l’idée de forêt s’efface petit à petit. L’adjectif « sauvage » est alors utilisé pour décrire les brigands ou les ermites qui vivent en solitaire, hors de la société. Le sauvage s’oppose ainsi au domestique – lié aux qualités positives de la domus [maison en latin, ndlr] – puis au civilisé, qui s’inscrit dans une hiérarchie et une organisation du cadre de vie. Le mot comporte également l’idée d’étrangeté pour caractériser l’état de nature, puis de barbare et de primitif, avec une connotation de violence naturelle. 
  
Au XVIIIe siècle, le terme perd son sens négatif. Il est alors associé au retour de la nature, à l’innocence. C’est le bon sauvage de Rousseau qui alimente le débat entre valeurs naturelles et valeurs morales. À l’état de nature, l’Homme serait heureux, et c’est à la civilisation que nous devons sa chute et la perversion de sa nature. À cette même époque, les « sauvages » désignent également les Amérindiens. C’est donc dans l’histoire coloniale que l’ensauvagement français prend ses sources. L’ensauvagement est un état résultant du passage d’une culture à une autre, celle des Européens à celle des Amérindiens. 

Ce terme, dont se sont emparé dans les années 1950 les écrivains de la Négritude, à l’instar d’Aimé Césaire, pour désigner la violence instillée au sein des colonies par les envahisseurs européens, est réapparu dans le débat publique en 2013. D’abord très ancré à droite pour dénoncer les dérives de certains individus face à l’affaiblissement de l’autorité de l’État, ce terme s’est depuis diffusé plus largement sur l’échiquier politique pour désigner, entre autres, la banalisation de la violence dans la société.  

Au-delà des faits divers, ce terme, loin d’être innocent, doit nous inciter à nous pencher sur la crise civique que traverse notre société ; c’est-à-dire à la remise en cause des institutions, du vivre ensemble, à la défiance généralisée vis-à-vis de toutes les formes d’autorité, notamment politique. Nous sommes confrontés à une crise de représentativité qui pousse les citoyens à se détourner de la « chose publique », à se tourner vers les extrêmes, ou à se retourner contre le système. Interprétées comme déficit de citoyenneté, les incivilités engendrent une remise en cause du contrat social qui lie le citoyen avec les institutions. Or le civisme, la civilité et la solidarité sont les valeurs même de la citoyenneté. Une citoyenneté qui – en ces temps troublés – doit être un horizon dont il ne faut pas se détourner. 

La rédaction d’À priori(s)