17.10.22

Dialogue

Hier, entre 30 000 (chiffre de la police) et 140 000 (chiffre des organisateurs) personnes ont défilé à la marche contre la vie chère. Dès demain, des mouvements de grève sont prévus, rejoignant ceux des salariés des raffineries et des dépôts de carburant. La grogne ne fait que monter, alors même que la France est l’un des pays qui a le plus préservé ses habitants en stabilisant le prix de l’énergie et l’inflation de façon générale. Dans un contexte géopolitique complexe de guerre aux portes de l’Europe mais également de soulèvement en Iran, difficile parfois de comprendre et défendre cette insatisfaction française attisée par des politiques sans vergogne. Et le vote du budget dans les prochains jours risque également d’être extrêmement mal perçu dans notre pays le plus redistributif au monde. Face à ces tensions extrêmes, le dialogue est-il définitivement rompu ou reste-t-il, malgré tout, une voie permettant au Gouvernement de renouer avec les Français ? 

Dialoguer c’est moins communiquer à autrui des pensées déjà construites que s’efforcer de les reproduire en les formulant devant lui, en acceptant de s’exposer aux critiques. Dialoguer c’est aussi, en prévoyant les objections, éprouver la solidité de ses arguments. Le dialogue porte donc plus loin l’exigence de la pensée. Les Dialogues de Platon mettent en scène une pensée en construction, les objections de Socrate obligeant ses interlocuteurs à se mettre en quête d’une vérité qu’il croyait déjà posséder. De l’opinion à la vérité, du particulier à l’universel, le dialogue est le chemin même de la philosophie, la pensée étant le dialogue de l’âme avec elle-même, encore faut-il éviter le dialogue…de sourds ! La simple présence d’autrui ne suffit pas à dialoguer, on peut monologuer à plusieurs, dans le consensus. Le dialogue est constitutif d’un monde véritable humain, c’est -à-dire d’un monde commun, composé de l’entrelacement des différences. Compréhension, acceptation mais aussi négociations, le dialogue doit permettre l’écoute avant tout. 

Pour Albert Camus, « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ». Malgré toute notre volonté à rester positif et à croire en un monde meilleur, l’extrémisme aux portes de l’Europe se tient prêt à récolter notre incapacité à recréer un collectif dans lequel chacun pourrait se reconnaître. Le dialogue pourra-t-il être le dernier rempart face à l’individualisme ? 

Delphine Jouenne