Grand sportif, Stephan Martinez a tout d’abord exercé le métier de professeur de tennis pendant une dizaine d’années. Arrière-petit-fils et fils d’une restauratrice, il suit ensuite la voie familiale en ouvrant aux côtés de son frère un premier bistrot en 1996 puis inaugure deux nouveaux établissements en 2002 puis 2011.
Une matière organique inexploitée
C’est en 2006 qu’il commence à s’intéresser à la valorisation des déchets, prenant alors conscience du nombre important de restes alimentaires générés par la restauration et éliminés par incinération. Un manque de réutilisation de ces ressources qui l’interpelle. D’autant plus qu’il sait que les restaurateurs peuvent facilement écarter la matière alimentaire avec laquelle ils travaillent au quotidien, il suffit de les former.
À cela s’ajoute un second constat : la disparition croissante des vers de terre en raison de l’agriculture intensive. Or, ces derniers jouent en effet un rôle primordial dans la revitalisation des sols, étant composés à 80% de protéines. Ils sont les premiers jardiniers de nos sols mais leur présence est passée de 2,5 tonnes à l’hectare à 500 voire 300 kilos en 2023.
De la Moulibox à Moulinot
Au départ, Stéphan Martinez développe le lombricompostage dans la cave de ses établissements. Les vers de terre transforment la matière organique collectée en un amendement nommé lombricompost. Une initiative qui intrigue les habitués de ces lieux, désireux d’observer cette nouvelle pratique qui devient « l’attraction » des établissements. Le restaurateur décide alors de lancer la « Moulibox » : un lombricomposteur contenant 150 vers de terre et 400 grammes de terreau. Cet outil s’avère rapidement très pédagogique et de nombreux enseignants le commandent pour mieux sensibiliser les enfants au devenir des déchets alimentaires.
L’entrepreneur se rapproche également de la commission de développement durable du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration de France (GNI) pour laquelle il effectue un retour d’expérience et propose de déployer une opération pilote sur un an dans trois arrondissements parisiens. C’est le lancement de Moulinot, qui implique 80 professionnels allant des grands restaurateurs aux traiteurs.
L’opération se transforme en véritable réussite et devient un fait marquant pour le restaurateur parisien qui se félicite d’avoir pu transmettre son savoir-faire, lui qui s’était toujours nourri des connaissances de son entourage. De l’outil de compostage Moulibox à l’entreprise, l’entrepreneur engagé a su vendre et partager son savoir-faire auprès des acteurs de la restauration.
« Moulinot a ainsi donné naissance à une nouvelle filière tout en créant à la fois une matière organique et surtout des emplois. »
Stéphan Martinez, fondateur
Le restaurateur parisien a pu compter sur l’expertise d’un accélérateur d’Ile-de-France entre 2017 et 2018 ainsi que sur plusieurs acteurs du monde de la finance tels des investisseurs sociaux et solidaires à l’instar de France Active. Stéphan Martinez a aussi procédé à des levées de fonds pour se développer dont une levée de 18 millions d’euros en 2022. Mais il l’affirme, ce qui a été essentiel : « c’est principalement le soutien de mon entourage par pure transmission de savoir ».
Aux côtés des restaurateurs et des collectivités
Moulinot a initialement travaillé avec des restaurateurs indépendants. L’entreprise s’est peu à peu ouverte sur la restauration collective scolaire et compte notamment comme clients Elior et Sodexo. La société a ensuite participé à des appels d’offres, lui permettant d’obtenir des contrats avec les Hôpitaux de Paris et la collecte des particuliers de La Romainville.
Les collectivités territoriales, notamment les métropoles sont également des partenaires clés car elles possèdent les compétences et les capacités pour valoriser les déchets. Moulinot les accompagne pour qu’elles puissent détenir le savoir sur cette nouvelle filière d’avenir.
Une entreprise sociale et solidaire
L’accueil est très positif, et résonne avec les attentes réglementaires puisque que l’obligation de valorisation des biodéchets entrera en vigueur en 2024 avec la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire). Notons qu’aujourd’hui seuls 4% des biodéchets sont transformés. Une mesure qui advient 10 ans après la création de Moulinot, figure pionnière de cette filière.
La société de 100 salariés s’implique également dans l’inclusion sociale en créant et facilitant l’accès à l’emploi par le recrutement sans diplôme. Elle observe ainsi un taux de réussite de 72% pour le retour à l’emploi sur la formation de chauffeur collecteur de biodéchets.
« Je suis convaincu que l’envie d’apprendre, d’écouter et ne pas craindre de se tromper suffisent pour évoluer au sein de l’entreprise. »
Stéphan Martinez, fondateur
Le développement se poursuit…
Moulinot se développe désormais à Bordeaux et à Angers où l’entreprise a d’ailleurs remporté la gestion du centre de tri de déchets ménagers recyclables Biopole. Cette extension lui permet de s’approcher du milieu agricole, ces résidus alimentaires étant réservés aux agriculteurs de proximité. L’entrepreneur parisien met ainsi en relation le monde urbain et le monde agricole, tout en permettant aux agriculteurs de ne pas acheter des amendements de synthèse.
L’entreprise monte également une seconde agence en région parisienne avec comme objectif la création de 5 ou 6 nouvelles usines à l’horizon 2027, représentant potentiellement 7 à 8% du gisement national. Un projet sur Lyon est également à l’étude, l’objectif étant de travailler en interaction avec différentes régions.
« Un grand projet pour une petite ambition », selon Stéphan Martinez mais qui porte fièrement ses fruits. Cet entrepreneur optimiste nous démontre que les milieux urbains peuvent eux aussi être impliqués dans de tels engagements sociaux et environnementaux.