Vous êtes diplômé de Penninghen. Qu’avez-vous apporté à la direction de l’école depuis que vous en avez pris la direction en 2016 ?
Penninghen est une école d’Architecture Intérieure, de Communication et de Direction Artistique, qui forme au sein de ses trois filières des professionnels de haut niveau, avec une vision globale de la création. Dans mon parcours professionnel, j’ai eu la chance d’endosser tous les rôles : imaginer, concevoir, créer, exécuter, produire, diriger, écrire des histoires… Je tente de transmettre cette expérience en privilégiant l’interdisciplinarité. Mon arrivée à la direction de l’école a été une sorte de révolution tranquille, l’évolution de l’école s’est faite naturellement.
En tant que directeur de Penninghen, je m’attelle à interroger sans cesse la mission éducative de l’école : comment faire prévaloir la marque de fabrique Penninghen dans un environnement qui s’industrialise ? Comment faire rayonner notre pédagogie si particulière dans un contexte de plus en plus normatif et globalisant ? Mon expérience de plus de 25 ans en tant que directeur artistique au contact de sociétés de production, d’éditeurs, d’agences de communication, de création et de publicité, me permet aujourd’hui en tant de directeur de l’école de me concentrer sur l’identité de marque de Penninghen, de définir un objet, une raison d’être, des valeurs.
Justement, quelle est la singularité de Penninghen par rapport aux autres écoles d’art et de création ?
J’ai coutume de dire que Penninghen n’est pas uniquement une formation mais une éducation. Nous transmettons à nos étudiants une véritable culture de l’émancipation et de l’agilité face aux mutations qui bouleversent la société, et donc forcément la création. Les techniques évoluent, les mentalités évoluent, mais in fine la posture du créateur reste la même : nos étudiants doivent pouvoir s’adapter à ce mouvement continu, viser le dépassement de soi pour concevoir et produire des créations qui répondent à ces nouveaux codes et usages. Nous convoquons une réelle exigence personnelle dans nos enseignements, qui va bien au-delà de la mise en application ou des techniques artistiques.
Pour cultiver ce rapport intellectuel au champ de la création, nous proposons un enseignement pluridisciplinaire, qui permet d’entrer dans le champ de la création de différentes manières et de prendre de la hauteur en sortant de la logique de silo. Nous encourageons beaucoup les points de contact entre les étudiants des différents parcours, soit lors de moments de vie partagés, soit lors d’exercices communs, afin qu’ils bénéficient tous d’un même terreau, et des mêmes préceptes pour appréhender la création.
Comment adaptez-vous votre enseignement et votre pratique à la montée en puissance de l’intelligence artificielle, capable par exemple de réaliser des illustrations de toute pièce ?
La transformation technologique de nos sociétés pose un enjeu très intéressant, car elle nous demande de convoquer de nouvelles aptitudes et une plasticité intellectuelle pour absorber les changements, voire les conduire, participer à leur émergence. Lorsque j’ai rejoint l’école en tant qu’enseignant, nous connaissions l’avènement de l’iPhone, aujourd’hui, nous vivons la vague ChatGPT; ces outils qui évoluent en permanence remettent en question la notion du concept artiste, notre appréhension du temps de la création et nous obligent à réfléchir à de nouvelles manières de rester créatifs. Mais fondamentalement, cela reste des outils, au même titre que l’arrivée de la PAO a libéré beaucoup de process en termes de réalisation d’images. Je ne pense pas que notre intelligence, notre créativité, notre acuité et notre intuition vont être supplantées par ces nouvelles technologies. C’est ce qui fait la richesse de notre civilisation. L’époque ne nous appartient pas. Les changements à l’œuvre nous dépassent et nous devons nous les approprier, en tâchant bien sûr de préserver nos valeurs humanistes, notre éthique, mais c’est sur l’usage que les choses se construisent.
La ligne éditoriale de notre média est axée autour de la nuance. Comment exprimer cette notion dans le champ de la création selon vous ?
À Penninghen, nous apprenons à développer un intérêt quelle que soit la question posée, une solution quelle que soit la difficulté à surmonter. Nous formons les étudiants à développer une profonde curiosité pour les changements qu’ils observent et qu’ils vivent et veillons à laisser libre cours à toutes les opinions au sein de l’école. Notre objectif est de les confronter aux expériences multiples du réel, à différentes manières de penser, d’appréhender la création, à différents domaines d’activité, à différents enjeux… Cette idée de nuance irrigue tant nos enseignements que la variété des profils créatifs qui interviennent à l’école (enseignants, jury de diplôme, conférenciers…).
Nous nous attachons aussi à transmettre la création comme une pensée à part entière, qui ne se limite pas au registre de l’image. La création est partout, elle peut irriguer tous les domaines, y compris les ressources humaines ou la finance. La création impose un principe de réalité de l’ordre du “faire” – pas de création sans production. Créer ce n’est pas uniquement dessiner des images, concevoir. C’est aussi faire, produire. Nous le voyons bien dans le secteur de la communication : aujourd’hui, les marques veulent poster chaque jour des publications illustrées de créations graphiques. Le processus de création s’accélère dans tous les domaines dans nos sociétés de consommation et met en lumière l’évidence de l’importance de la production, intrinsèque à toute création.
On parle de plus en plus de saturation du paysage visuel par l’image. Que pensez-vous de ce phénomène ?
Là encore, la saturation va de pair avec une superposition des temps présents. Je n’ai aucune idée de ce que cela présage pour l’avenir mais nous sommes tous conscients des bouleversements que cela implique. Peut-être arriverons-nous un jour à faire primer la qualité sur la quantité. Peut-être que nos intelligences artificielles finiront par produire à notre place pour que l’on se concentre sur des choses plus essentielles, moins consuméristes. Je pense que l’important est de former nos étudiants à une logique d’agilité qui leur permette de se poser les bonnes questions et en même temps de répondre à tous les enjeux qui traversent nos sociétés.
Les mutations que nous subissons de plein fouet prennent-elles de plus en plus de place dans la production créative de vos étudiants ? Observe-t-on un intérêt plus marqué pour la question environnementale par exemple ?
D’une certaine manière, la création est bien sûr à l’image de nos sociétés. Mais la question que je me pose surtout est de savoir si les jeunes d’aujourd’hui se construisent encore contre un modèle. J’ai parfois le sentiment que le modèle s’auto-alimente totalement, comme un ordinateur qui vivrait une mise à jour système continue.
Nous sommes selon moi dans une époque qui ne laisse pas suffisamment les individus faire leur expérience. Sous l’effet de la logique de chiffres (KPIs, followers, data…) nous sommes comme conduits par des modèles figés et une culture de l’efficacité qui a fait disparaître le droit à l’erreur. Il faut pourtant grandir en se trompant, en éprouvant. Et le contexte anxiogène n’arrange pas les choses : nous laissons moins de place à l’intuition, à l’authenticité. À notre échelle, nous tentons à Penninghen d’insuffler cet apprentissage de l’expérience pour faire grandir nos étudiants et les préparer, à travers la création, à l’avenir qui est devant eux.
« La question que je me pose est de savoir si les jeunes d’aujourd’hui se construisent encore contre un modèle. J’ai parfois le sentiment que le modèle s’auto-alimente totalement, comme un ordinateur qui vivrait une mise à jour système continue. »