La foule, impalpable, celle que l’on croise dans le métro, dans la rue, à une exposition mais aussi dans une manifestation…c’est un flot humain et chaotique qui nous submerge, telle une vague contre laquelle on ne peut lutter. Mardi dernier, le président de la République a estimé, devant les parlementaires de la majorité, que « la foule » de manifestants opposés à la réforme des retraites n’avait « pas de légitimité » face « au peuple qui s’exprime à travers ses élus », accentuant un peu plus le fossé avec les citoyens.
La foule à la fois un phénomène physique mais c’est aussi un phénomène de pensée collective. Comportements d’imitation, contagion sociale, groupes sociaux aux intérêts partagés, la foule semble former un tout, un miroir grossissant de ce qui traverse les individus.
Le mot foule fin du verbe latin fullare qui signifie fouler, presser. La foule écrase, pèse et presse. Le mot n’est utilisé par la suite qu’au XIIème siècle. En anglais, on utilise le terme crowd qui a la même racine (saxon creodan qui signifie presser) et en espagnol « multitude » qui insiste uniquement sur la quantité.
La foule échappe donc à la possibilité d’être dénombrée, on peut simplement en saisir la multitude, elle renvoie à un rassemblement d’individus humains, sans pour autant être un sujet, puisqu’elle désigne non pas ce qu’elle est mais ce qu’elle fait (d’où les mouvements de foule par exemple). Quels sont les liens entre les individus qui la compose, sont-ils structurants ? Aristote dans les Politiques tente de définir la masse de la population de la cité. Il utilise le terme demos quand il s’agit de désigner les individus qui composent politiquement la cité mais aussi plethos qui signifie la multitude, la réunion de singularités éparpillées. Ainsi, la foule produit des effets mais c’est un stade primitif de l’action nécessitant une transformation pour jouer pleinement un rôle politique en devenant demos. Car la foule rappelle la horde, elle peut donc être sauvage et instinctive…on le voit d’ailleurs au moment des manifestations. Heidegger propose une conception un peu différente de celle-ci : il s’agit d’un On (das Man) collectif à la frontière entre le « nous » et le « ils » qui trahit toute son extériorité.
Bref, ce n’est pas une foule sentimentale à laquelle nous avons affaire ces derniers jours et si selon Nietzsche « la foule est une somme d’erreurs qu’il faut corriger », il est désormais urgent de l’entendre gronder….
Delphine Jouenne