D’un peuple sans droits aux droits des peuples
Il y a dans le parcours de Rima Hassan une fatalité à laquelle jamais elle ne cède. Si les coups du sort auraient pu mener au découragement, il n’en est rien. Née en Syrie en 1992, dans un camp palestinien proche d’Alep, elle rejoint la France à 10 ans, avec sa mère et sa fratrie.
À 18 ans, alors qu’elle peut enfin retourner sur les traces de son enfance, c’est la guerre civile qui ravagera la Syrie pendant des années qui éclate. En 2015, nouvelle étape au Proche Orient, Beyrouth devient la solution de repli pour son année d’échange durant son cursus de droit international. Étudier le droit est devenu une évidence pour celle qui réalise très jeune que les figures de la lutte pour les droits humains et l’égalité, Malcom X, Martin Luther King ou Ghandi, y sont formés. Rima Hassan se prend à rêver de leur emboiter un jour le pas.
C’est au Liban que se produira le déclic, le point de bascule. Sur place, dès la première semaine, Rima a l’occasion de se rendre dans des camps de réfugiés palestiniens. Un constat s’impose alors à elle : « ces camps existent maintenant depuis 70 ans, nous avons du recul sur leur évolution et pourtant si peu d’alternatives à l’encampement se font jour pour ces populations ».
« Ces camps existent maintenant depuis 70 ans, nous avons du recul sur leur évolution et pourtant si peu d’alternatives à l’encampement se font jour pour ces populations ».
Défendre son camp
À son retour du Liban, Rima reprend ses études mais l’idée d’agir mûrit, de manière inconsciente, fusion indiscernable entre son vécu et la connaissance du sujet que lui apporte son parcours académique. Diplômée, elle rejoint l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) et entame en parallèle un doctorat en droit applicable dans les camps.
Ses recherches révèlent un manque de documentation pour identifier le nombre de camps dans le monde, déterminer la façon dont ils fonctionnent et les enjeux pour chacun d’eux. L’objectivité des sources documentaires existantes est aussi problématique, toutes sont issues des acteurs investis dans la gestion des camps. Enfin, le « camp » n’est défini par aucun instrument juridique, par conséquent les conditions de vie en son sein sont fonction de l’État souverain dans lequel il se trouve.
Pour répondre à ces problématiques, elle se lance dans l’ambitieux projet de création d’un Observatoire des camps de réfugiés (OCR). Pour elle, « quelle que soit notre casquette d’entrepreneur, le souci que nous avons c’est de résoudre des problèmes, des dysfonctionnements ».
Lorsqu’elle dépose les statuts de l’OCR en mai 2019, Rima Hassan a déjà en tête depuis longtemps les trois pôles qui permettront de répondre aux problématiques qu’elle a identifiées :
- un pôle étude et recensement des camps ;
- un pôle consultations et missions de terrain, qui a vocation à enquêter directement à la source ;
- et enfin un pôle plaidoyer, qui vise à analyser les conséquences de la pérennisation, les dysfonctionnements dans les camps et à défendre l’amélioration des pratiques.
C’est en étant convaincu que l’on devient convaincant
Les statuts déposés, elle se lance dans un marathon pour convaincre des contributeurs de rejoindre le projet, des experts qui bénévolement pourront accomplir les missions édictées dans les pôles.
De cette course de quatre mois, elle retient son « budget café » pour pitcher le projet à différentes personnalités, parfois plusieurs fois par jour, mais aussi la disponibilité des professionnels qu’elle contacte, : « On a l’impression qu’on est tous inaccessibles, en réalité, je me rends compte qu’il y a énormément de gens qui sont à l’écoute de nouveaux projets, des nouvelles idées qui émergent ». À la fin de cet été-là, 70 personnes auront accepté de la rejoindre : « Je comprends alors que la force de ce projet, c’est cette mobilisation » confie-t-elle.
L’OCR sera plus tard accompagné par l’incubateur de l’ONG SINGA, dédié aux projets d’aide aux personnes réfugiées ou en lien avec la migration.
Entreprendre n’est pas un long fleuve tranquille
Moments de doutes, peur d’échouer, de se décrédibiliser auprès de son réseau professionnel, solitude ont ponctué ce chemin entrepreneurial. Certains départs de contributeurs bénévoles ont fait douter au point de presque tout remettre en question. Mais pour Rima, « l’entrepreneuriat c’est apprendre à être endurant face à l’échec, identifier ce qui dysfonctionne et requestionner ».
En 2022, les défis restent nombreux : pérenniser des financements permettant de salarier certains bénévoles, mais aussi lancer des antennes régionales pour avoir des relais de terrain, capables de piloter des communautés de contributeurs. L’enjeu n’est pas mince, « il s’agit de ne pas s’enfermer dans une vision française, mais bien mondiale et plurielle des phénomènes d’encampement ».
L’autre enjeu est plus personnel. Pour Rima, l’entrepreneur a pour responsabilité « d’assurer la viabilité de son projet », avec, mais surtout sans lui. Il lui est nécessaire de créer un collectif afin de dépasser sa seule personne, quand bien même son parcours singulier est porteur d’un message aussi fort.