Guerre, pénuries, inflation, la France semble se préparer à des années compliquées sur le plan énergétique et renoue avec les énergies dites fossiles. Est-ce la fin des ambitions de transition écologique ?
La question énergétique a complétement évolué dans le contexte de guerre en Ukraine.
Il était courant d’articuler la question de la transition écologique avec une forme de sobriété énergétique. La guerre a modifié cette perception et transformé le vocabulaire du débat. Nous avons réalisé, brutalement, que le discours sur la sobriété énergétique n’était pas corrélé avec la réalité de notre dépendance. Or, pour nourrir efficacement un débat démocratique sur la question de l’énergie, il est indispensable d’avoir un discours réaliste. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas sortir de la dépendance. Mais nous en avons beaucoup parlé sans vraiment le faire jusqu’à présent.
A travers la guerre en Ukraine et les sanctions qui en découlent, nous réalisons dorénavant l’imbrication entre questions politique, militaire, énergétique, écologique et économique. Un évènement militaire crée des menaces et des bouleversements sur des champs qui ne sont pas militaires et la réponse à la guerre n’est pas la guerre mais se situe dans le registre économique et énergétique. Dans l’histoire récente de notre pays, c’est quelque chose de nouveau.
La guerre et la pandémie de Covid, deux évènements exogènes et globaux, donnent une matérialité à la nécessité d’une transition écologique qui puisse prendre sa place dans un agenda de réalité.
La question, maintenant, est de réussir à avoir un discours démocratique qui brasse toute cette interdépendance, cette complexité, cette interrelation entre réalités traitées habituellement de façon segmentée. Cette ambition démocratique doit être portée à l’ensemble des échelles, du global au local en passant bien sûr par l’Europe et l’échelle nationale.
Voilà un premier point important par rapport à la tenue du débat public et la nécessité d’avoir une analyse transverse et profonde.
Comment penser l’écologie à la lumière de ces nouvelles perceptions globales et de cette prise de conscience ? Quel rôle peuvent jouer les institutions dans ce cadre ?
Les institutions, comme vous dites, ou plutôt les dirigeants politiques, souhaitent jouer un rôle important et le peuvent. Dans ce sens, le choix de l’exécutif de porter les notions de « planification écologique » est un signal fort et une manière de dire qu’il se met en ordre de bataille. Néanmoins, au-delà des mots, il reste à trouver une méthode à cette planification écologique. Comment s’entendre avec les collectivités locales, les entreprises, donner une place aux institutions européennes ? Comment porter une vision nationale qui fasse place aux expérimentations et aux acquis locaux ? Où placer l’obligation et l’incitation ? Quelles seront les priorités ? Verdir les emplois ? Déployer les énergies renouvelables ? Adapter nos villes ? Transformer les transports ?
Je suis assez étonnée et désolée de la multiplication d’expressions pour évoquer la transition écologique sans que celles-ci soient adossées à un contenu. Cela entretient la confusion, et finit par interdire de penser les transformations écologiques avec les bons ordres de grandeur et surtout de débattre sur des lignes claires. C’est dangereux.
La transition écologique nous invite à reconsidérer ce qui est politique et ce qui ne l’est pas au sens de ce qui était simplement du domaine technique et technologique devient politique.
Le nucléaire par exemple, n’est plus un sujet de grands corps techniques, comme il a pu l’être, mais un sujet de débat public. Si les citoyens sont associés à cette réflexion, et c’est une nécessité, ils ne doivent pas rester dans l’ignorance. Cela implique évidemment dans notre société un apprentissage partagé des enjeux complexes.
« Si les médias sont fondamentaux, ils interviennent en complément d’autres lieux de savoirs et d’échanges, l’école, les formations initiales et continues, les associations, les lieux de débat public. Les enjeux écologiques obligent d’ailleurs les médias à un retour sur leur rôle et leur responsabilité. »
Dans ce cadre, quelle place donner aux savoirs ?
Donner aux savoirs une importance beaucoup plus grande est essentielle pour que les citoyens jouent vraiment leur rôle et permettre un débat démocratique qui influe enfin sur les décisions. L’écologie est moins une question de nouveau modèle qu’une affaire de contenus. Or le contenu c’est la complexité et il faut parfois accepter de ne pas savoir où on va, de tâtonner. Si les médias sont fondamentaux, ils interviennent en complément d’autres lieux de savoirs et d’échanges, l’école, les formations initiales et continues, les associations, les lieux de débat public. Les enjeux écologiques obligent d’ailleurs les médias à un retour sur leur rôle et leur responsabilité. Quel que soit le lieu d’où l’on parle j’insiste sur le fait que les travaux d’enquêtes, l’articulation avec le réel sont fondamentaux. Donner sa place à l’écologie c’est donner toute son importance à l’enquête pour ne pas en rester aux slogans. D’où vient l’électricité que je consomme ? Que signifie l’expression « électricité verte » ? Que recouvre le label bio ? comment donner à la biodiversité sa place en ville ? etc. Ces enquêtes sur l’évolution des comportements et de notre organisation économique et sociale sont nécessaires pour revoir l’articulation entre intérêt individuel et intérêt collectif et intégrer les défis écologiques à notre contrat social.
Est-il vraiment possible de retrouver le sens de la responsabilité collective et sortir de la défense des intérêts particuliers, du tous contre tous ?
Oui je crois que l’écologie est déjà une aspiration collective. En revanche il est frappant que chacun ait tendance à y entrer par son prisme, son angle d’approche, le vélo, l’alimentation, la cause animale etc. Il n’y a pas une mais des écologies. Il est essentiel bien sûr qu’elles convergent, ne se mettent pas en concurrence. Cela nécessite d’affronter aussi des controverses sur le comment faire. Place du progrès technique, enjeux de l’adaptation et de la préservation, spectre de la dictature verte.
La parole des scientifiques si elle est trop surplombante ne nous aide pas à iavoir un débat serein sur les choix collectifs à faire. Il manque une culture générale scientifique largement partagée pour éviter que cette parole des scientifiques ne soit une parole trop transcendante.
Ce n’est pas seulement avec un grand débat national ou de beaux discours que cette question pourra être résolue mais avec des actes. Une première étape consisterait, pour les dirigeants politiques à donner l’exemple d’une exemplarité individuelle. J’ai l’impression que nous en sommes encore assez loin…
Néanmoins, nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre que ceux qui nous représentent deviennent raisonnables et l’aspiration à organiser une responsabilité collective ne passe pas seulement par un processus électif. Il est important de sortir de l’interpellation pour se situer à « l’avant-garde » de ceux qui font exister la transition écologique concrètement. Les lanceurs d’alerte, les entreprises pionnières sont autant d’exemples. Mais l’important est désormais dans un contexte d’urgence de passer de l’alerte à la construction d’un nouvel horizon, de quelque chose que l’on pourrait nommer « une société écologique ». On sent un effort en ce sens dans la multiplicité des démarches prospectives qui sont lancées. Mais elles restent souvent abstraites. Or la priorité est de donner une matérialité à cette transition écologique, tout en assumant ce rôle d’inventeur. Pour ce faire il y a un devoir d’imagination de tous les acteurs. Il faut articuler les faits scientifiques à une imagination créative et aux valeurs de justice sociale et d’égalité.
« Nous avons entendu récemment le débat sur la « fin de l’insouciance ». Cela me semble absurde. Nous pouvons retrouver le bonheur de l’insouciance si nous prenons en considération la réalité des dérèglements climatiques et si nous agissons »
Comment nourrir ce devoir d’imagination ?
Nous avons entendu récemment le débat sur la « fin de l’insouciance ». Cela me semble absurde. Nous pouvons retrouver le bonheur de l’insouciance si nous prenons en considération la réalité des dérèglements climatiques et si nous agissons. Pourquoi l’écologie serait-elle synonyme d’assombrissement du monde. C’est le refus de changer, le refus de tenir compte de la réalité qui crée l’éco-anxiété pas l’écologie en elle-même.
Il est essentiel, je le crois aussi, de repenser la liberté, au moins notre conception de la liberté. Le débat sur la liberté est un débat passionnant car il oblige à penser la responsabilité collective. On prend les choses dans le mauvais ordre si l’on privilégie le prisme de la contrainte. Par ailleurs, toujours dans ce cadre, il semble important de montrer que ce qu’on appelle la liberté n’est pas de la liberté mais de la dépendance.
Enfin, existe aussi la question de l’éducation. Non pas seulement l’éducation nationale mais l’éducation tout court. Aujourd’hui nous nous auto-éduquons tous sur ces questions cruciales qui échappent à tout système éducatif classique puisqu’elles sont nouvelles laissant parfois le rôle éducatif aux médias. Il nous faut redonner de l’importance à cette question d’éducation citoyenne.
Bien au-delà des réflexions sur les moyens, humains et financiers d’une institution demandons-nous quelle grande mission souhaite-t-on donner à l’éducation nationale ? Voilà, peut-être, le véritable enjeu afin de développer l’esprit critique des prochaines générations. Cette grande mission pourrait-elle être que nous soyons tous des citoyens éclairés sur la transition écologique ?