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23.03.22

David Djaïz – Repenser le modèle politique français

       David Djaïz, né à Agen en 1990, est normalien, énarque et enseignant en Sciences Politiques. Essayiste et auteur de deux livres , il a récemment publié « Le Nouveau modèle français » (2021) au sein duquel il tire les enseignements politiques de la deuxième moitié du 21ème siècle afin de dessiner avec précision un « nouveau modèle français » et de partager une vision institutionnelle, économique et sociale à la base d’un contrat de société renouvelé.

Un mot peut-être en introduction sur la campagne présidentielle. Comment percevez-vous les débats, le climat politique actuel [1]?

De la même manière qu’on a pu parler en 1939-1940 d’une « drôle de guerre », on pourrait évoquer une drôle de campagne. En effet, je constate – et déplore- qu’il n’y a pas vraiment de débats structurants avec des confrontations de visions de société. Où sont les grandes réflexions de fond autour des grandes politiques publiques comme l’éducation, l’énergie, l’école, l’aménagement du territoire, ces aspects que les anglais appellent « Policy » ? Dans le même temps, la campagne semble saturée sur le plan de la tactique politique, du « Politics » et sur le point de vue de la « Polity » c’est-à-dire la métapolitique. Saturation de petites phrases et d’invectives. Le système médiatique est ainsi fait et empêche, à mon sens, les discussions sur les projets d’actions publiques de se tenir sereinement.

 

[1] L’interview a été effectuée le 10 février 2022 soit avant la guerre en Ukraine.

Qu’est ce qui, selon vous, devrait être porté dans le débat public par les candidats ? Quels sont ces « projets de fond » que vous évoquez ?

Il me paraît important d’avoir de véritables discussions sur la stratégie énergétique, sur le redressement éducatif, la place de la France dans le Monde. 

J’entends souvent parler de « dernière chance » pour le pays mais je ne partage pas cette vision négative. Nous ne sommes pas dos au mur. Le pays peut compter sur énormément de ressources, naturelles, économiques, humaines et nous sommes définitivement résilients. Nous avons mieux surmonté la crise du Covid, par exemple, que dans d’autres pays. Simplement, nous devons être conscients des défis auxquels nous sommes confrontés.

J’identifie ainsi trois principales faiblesses pour la France :

  • le déclin éducatif -notamment en sciences et en mathématiques- et la perte de savoir-faire techniques et industriels ;
  • la désindustrialisation, la perte de substance de l’appareil productif (qui se traduit par un déficit commercial abyssal), l’érosion de compétitivité et le manque d’ambition industrielle collective ;
  • la très profonde crise démocratique liée à un système institutionnel à bout de souffle.

« J’entends souvent parler de « dernière chance » pour le pays mais je ne partage pas cette vision négative. Nous ne sommes pas dos au mur. Simplement, nous devons être conscients des défis auxquels nous sommes confrontés»

Revenons sur ce dernier point, comment peut-on améliorer ce lien entre les citoyens et leur système politique ?

Il n’y a pas de recette miracle, évidemment, mais je suis persuadé qu’il est nécessaire d’effectuer un « travail de couture », précis, efficace.

En premier lieu, il est indispensable de relancer la machine méritocratique car c’est le cœur de la confiance. Les citoyens n’ont confiance dans le système démocratique et dans sa représentation que s’ils ont le sentiment que celui-ci les respecte, tous dans leur diversité, et s’il donne la possibilité à chacun de construire sa propre trajectoire. Le sujet de la confiance, primordial, est presque extra politique et lié à la capacité du système à délivrer sa promesse.

A côté de cela, je pense qu’il y a des améliorations à apporter sur le plan des institutions. De mon point de vue, il pourrait s’avérer pertinent de déconnecter davantage la fonction présidentielle de la fonction gouvernementale en donnant au Président un septennat. Cela permettrait au Président de se concentrer sur le long terme tandis que le gouvernement serait le résultat d’un contrat de coalition à l’Assemblée nationale avec l’introduction– enfin- d’une dose de proportionnelle pour favoriser les compromis. Le CESE, cette troisième chambre souvent oubliée, pourrait également être transformée en « Chambre de l’avenir », c’est-à-dire une chambre dans laquelle les différents corps intermédiaires participeraient à la fabrication des stratégies de long terme. C’est bien cette notion de temps long qu’il faut garder à l’esprit. Il ne peut y avoir de vision forte sur de courte échéances. En revanche, la délibération, elle, doit être continue et favorisée à l’intérieur de la société. Pourquoi ne pas envisager par exemple des cycles délibératifs autour des grands choix d’avenir (l’Éducation, l’Industrie, la Santé, la Défense,..) à fréquence régulière afin de nourrir une feuille de route globale ?

Toutes ces actions mises bout à bout contribueraient à améliorer la qualité de notre système démocratique et donc la confiance des citoyens.

Comment ces cycles-là se pensent-ils justement ?  Comment passer de l’idée à la mise en œuvre opérationnelle en tenant compte des contraintes de la vie politique et démocratique ?

J’ai déjà évoqué une prise de hauteur politique et symbolique de la fonction présidentielle ; Au-delà de ça, la concertation est un élément clé. Aussi, je trouverais intéressant d’avoir des cycles de débats, une fois par an, sur une question d’intérêt national. Mettre cette question en discussion de façon organisée, sous la forme d’un grand débat public et faire ensuite travailler toutes les parties prenantes liées au sujet. L’objectif vous l’avez compris est de définir un cadre d’action consensuel qui dépasse les conflits politiques et idéologiques afin de travailler en profondeur sur le sujet, sous tous ses angles.

Je suis un grand adepte de la Commune italienne et en particulier de la commune de Florence à l’époque de l’Humanisme civique. Bien sûr ce n’est pas une démocratie au sens où on l’entend mais ce que l’on appelait le « gouvernement civil » permettait la participation d’un grand nombre de personnes à la décision. C’est ce système là qu’il faut faire advenir en France. Il ne s’agit pas seulement d’inventer des gadgets participatifs parce qu’on consulte les gens sur tel ou tel sujet. C’est vraiment un changement de philosophie auquel nous devons procéder. Au fond, quand on délibère vraiment, dans un système qui organise une confrontation loyale et rationnelle des idées, on parvient à produire des décisions de meilleure qualité. De plus ces décisions s’élaborent dans un plus grand respect diminuant de fait risque de conflit et améliorant la fabrique des politiques publiques. Tout le monde y gagne.

L’exemple du grand débat national se situait dans cet esprit. Ce qui a péché dans le grand débat est l’absence d’un vrai processus de restitution. Au-delà de la nécessaire catharsis collective il y a eu un côté déceptif car beaucoup de choses ont été dites mais tout le monde a échoué à traduire cela dans un vrai processus politique. Il faut donc améliorer la méthodologie et surtout réaffirmer une volonté politique avec une garantie de qualité des procédures pour éviter tout procès d’intention.

« Je trouverais intéressant d’avoir des cycles de débats, une fois par an, sur une question d’intérêt national. Mettre cette question en discussion de façon organisée, sous la forme d’un grand débat public et faire ensuite travailler toutes les parties prenantes liées au sujet. »

Pourrait-on parler de tout ? Sur la Nation par exemple, est-il possible de reparler positivement de la nation sans laisser cette idée à certains partis ?

Les à prioris sont nombreux sur ce sujet mais la nation est quelque chose d’évident pour les gens. C’est la forme la plus aboutie de l’interdépendance sociale. L’existence des nations nous rappelle que le monde n’est pas seulement une agrégation de liens économiques entre des vendeurs et des acheteurs mais qu’il existe des espaces sociaux traversés par des affects, par des représentations, des imaginaires collectifs à la fois rétrospectifs et projectifs.

A partir de là, l’enjeu est de faire coopérer des nations autour de problématiques mondiales, comme le réchauffement climatique, et « en même temps » de leur permettre de préserver certaines spécificités comme le niveau de redistribution par exemple.

Au niveau européen c’est le même principe, il faut trouver une articulation habile dans une logique gagnant-gagnant avec des problématiques réglées à l’échelle européenne et d’autres au niveau national. L’enjeu c’est d’avoir des nations fortes dans une Europe forte, en complémentarité.

 

« L’existence des nations nous rappelle que le monde n’est pas seulement une agrégation de liens économiques entre des vendeurs et des acheteurs »

Vous évoquez à plusieurs reprises « le défi éducatif » auquel nous sommes confrontés. Quelle serait la priorité pour l’Éducation nationale ?

La facilité tactique est de se concentrer sur tel ou tel échelon académique et je comprends la contrainte politique inhérente à ce Ministère mais la vision stratégique nécessite d’avoir une approche d’ensemble, de très long terme. Là encore il n’y a pas de recettes miracles mais certains points d’attention sont déjà identifiés :

  • l’amélioration de la formation fondamentale, notamment en mathématique et en science. Il est important d’agir dès l’enseignement primaire afin d’améliorer la formation et la rémunération des enseignants. Cela signifie aussi des plus petits effectifs en zone Rep+ et un effort particulier au lycée.
  • la question, centrale, de la mixité sociale : j’aimerais porter l’idée d’un service public de l’internat et du mentorat pour permettre aux élèves méritants des zones défavorisés d’être scolarisés, hébergés, tutorés du lundi au vendredi dans des lycées ou des collèges de centre-ville ;
  • la réforme du service de l’orientation qui pourrait avoir des conséquences fortes sur la mobilité sociale et donc l’économie.

Tout cela nécessite de la constance et de la cohérence et ne peut pas être réalisé sur l’échelle d’un seul quinquennat, par un ministre aussi iconique soit-il. Il faut une vraie stratégie nationale pour l’École. Au-delà de la stratégie, il est important qu’elle soit mise en œuvre avec efficacité et donc qu’elle soit délibérée avec toutes les parties prenantes. C’est vraiment tout un cycle de politiques publiques à penser.

« Tout cela nécessite de la constance et de la cohérence et ne peut pas être réalisé sur l’échelle d’un seul quinquennat, par un ministre aussi iconique soit-il. Il faut une vraie stratégie nationale pour l’École »

Terminons cet entretien sur le défi économique du pays. Vous évoquiez en introduction la nécessaire réindustrialisation de la France, comment voyez-vous l’évolution de notre modèle sur cet aspect ?

Le sujet le plus important est sans aucun doute la transition énergétique. En effet, parler de transition énergétique ne veut pas seulement dire passer des fossiles au nucléaire mais c’est prendre conscience du changement complet de système nécessaire. Or le système énergétique est la base de l’appareil de production. Dans ce cadre, la transition écologique est une opportunité de réindustrialiser le pays autour de l’innovation, de la technologie liée à la décarbonation et plus largement autour d’une notion qui m’est chère : l’économie du bien-être. Il s’agit là d’une économie dans laquelle la fonction productive est liée avec la fonction reproductive. L’idée même de création de valeur économique n’est possible que si elle est obligatoirement liée à la production de valeur sociale et environnementale. C’est le cas souvent, de plus en plus, mais ce n’est pas encore partout et tout le temps.

A ce sujet, j’observe d’ailleurs que les Italiens viennent de modifier leur constitution avec une formulation qui va exactement dans ce sens. Ils évoquent le principe garanti de la libre initiative mais en rappelant que « l’utilité » d’une entreprise n’est pas seulement de faire du profit mais bien de faire du profit dans le respect du bien-être social et environnemental. C’est un grand changement de braquet.

Il y a un certain nombre de technologies et de secteurs qui sont critiques aujourd’hui – agriculture, énergie, santé,..- et il faut réussir à localiser en France une partie des sous-traitants qui vont produire demain les composants de ces transformations sectorielles. Il existe un projet industriel absolument majeur à bâtir autour de cette économie du bien-être, décarbonée, résolument positive et dans laquelle la France peut demain jouer un rôle de leader. Définissions collectivement un cap, un effort de partage des risques entre le public et le privé, un processus d’amorçage pour les technologies les plus futuristes et surtout une vision. Alors nous pourrons faire entrer la France dans le siècle et rejeter -une bonne fois pour toute- les discours pessimistes.

« Il existe un projet industriel absolument majeur à bâtir autour de cette économie du bien-être, décarbonée, résolument positive et dans laquelle la France peut demain jouer un rôle de leader »

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