Yann Lemoine a grandi sous l’influence des valeurs transmises par son père, ingénieur agronome tropical ayant consacré toute sa carrière au développement agricole dans les pays du sud. Son enfance au Niger et au Burkina Faso a profondément marqué son parcours. Son père, critique du modèle occidental de développement, a insufflé chez lui une conscience aiguë des enjeux sociaux et environnementaux. Cela a façonné sa carrière et ses ambitions, l’amenant à se battre pour plus d’égalité et contre la surconsommation ainsi qu’à militer pour un changement de paradigme économique.
Le déclic entrepreneurial : de la réflexion à l’action
Yann Lemoine n’a pas toujours été entrepreneur. Après avoir déménagé en France à l’adolescence, lorsque son père a pris sa retraite, il suit un parcours scientifique solide. Il intègre l’école AgroParisTech, puis l’École des Mines pour approfondir ses connaissances en gestion des ressources naturelles. Ses études lui ouvrent les portes de grandes entreprises et il démarre sa carrière chez EDF, travaillant notamment sur un projet international sur les enjeux eau et énergie. A la fin de ce projet, il ne tarde cependant pas à sentir un décalage entre ses valeurs et l’orientation des nouvelles missions qui lui sont confiées. Au bout de cinq années, il décide de quitter l’entreprise pour rejoindre une start-up travaillant sur le développement urbain avec une vision de long terme : ForCity.
A la disparition de cette dernière fin 2019, fort de ses réflexions sur l’économie circulaire et les nouvelles manières de consommer, Yann Lemoine se lance dans la concrétisation d’une idée qu’il a depuis plusieurs années : Les Biens en Commun. Après 2 ans à porter le projet seul et une première installation de celui-ci en résidence étudiante, il rencontre Thomas Koell avec qui il s’associe. Avec 15 ans d’expérience dans l’industrie automobile dans de nombreux postes opérationnels et à fortes responsabilités, Thomas complète parfaitement le profil de Yann en apportant ses compétences opérationnelles et industrielles. Ensemble, ils forment un binôme complémentaire : Yann, fort de ses convictions, porte la vision à long terme du projet et s’implique principalement à le faire connaître, Thomas fort de son expérience, en assure la mise en œuvre concrète. Ce partenariat permet de faire décoller l’initiative à partir de 2022. L’entreprise est aujourd’hui constituée de 8 personnes.
L’idée : une solution innovante de location d’équipements via des casiers connectés. Le concept est simple : mettre à disposition des objets du quotidien dans des lieux stratégiques comme les immeubles, les commerces ou les résidences étudiantes, afin que les utilisateurs puissent les louer facilement et ainsi éviter de devoir les acheter. Louer, plutôt que posséder : « Il faut sortir de l’idée que l’accumulation de biens fait le bonheur », explique Yann Lemoine, pour qui ce service de location offre un double avantage : réduire l’impact environnemental tout en démocratisant l’accès à des biens de qualité. Cette approche, inspirée par le succès des vélos en libre-service, ambitionne de transformer la façon dont les consommateurs accèdent aux objets, en privilégiant l’usage sur la possession.
« Il faut sortir de l’idée que l’accumulation de biens fait le bonheur »
Un modèle économique au service de la durabilité
Le modèle économique de Les Biens en Commun est fondé sur un système tarifaire accessible : à partir de 1 € de l’heure et 4€ la journée, tarif dégressif dans le temps. On aboutit ainsi par exemple à une location d’un vidéoprojecteur pour un weekend pour 15€. Parmi les autres objets proposés, de l’électroménager du quotidien, tels que des aspirateurs, des fers à repasser, des détacheurs à eau ou des laves-vitres, mais aussi des objets de convivialité : crêpières, raclettes ou encore plancha, du matériel de bricolage, du matériel de jardinage, ou encore du matériel festif (karaoké, tireuse à bière, etc).
En 2022, une première levée de fonds a permis aux Biens en commun de réunir 300 000 euros via des prêts non dilutifs, destinés à développer l’application et installer les premiers casiers. Une seconde levée de 1 million d’euros en 2023, dont 600 000 euros apportés par trois business angels, a accéléré l’expansion du projet, avec désormais 22 installations à travers la France, notamment à Paris, Lyon, Grenoble et Strasbourg. De premiers déploiements avec Eiffage, Inli et Franprix ont permis des collaborations avec des clients reconnus, assurant une crédibilité à l’initiative. L’entrepreneur vise désormais 100 installations d’ici fin 2025.
Un levier de changement social et environnemental
Au-delà du modèle économique, Yann Lemoine voit dans Les Biens en Commun un levier de changement sociétal. Son ambition dépasse la simple location d’objets : il souhaite réinventer la consommation en permettant aux citoyens de se réapproprier des biens partagés, tout en renforçant les liens communautaires.
Convaincu que le changement doit être systémique, Yann Lemoine se positionne à la croisée de l’entrepreneuriat social et de la politique. Il milite pour une réorientation de l’investissement et une réflexion profonde sur ce qui constitue la réussite et le bonheur dans nos sociétés modernes. Les Biens en Commun incarne cette volonté de changement. En plus de réduire l’impact environnemental de la consommation, ce projet entend favoriser la cohésion sociale en créant des communautés locales autour de ces équipements partagés. Yann Lemoine voit même plus loin : il espère que cette initiative permettra de développer des ateliers de partage de compétences, comme des sessions de bricolage ou de cuisine collective, où les objets loués deviendraient des prétextes à recréer du lien social.
Les Biens en Commun est finalement bien plus qu’une entreprise : c’est un laboratoire d’idées pour repenser la consommation et créer un modèle de société plus durable.
